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GRÂCE À DIEU

de François Ozon ***(*)

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Ouf, j'ai trouvé une affiche sur laquelle on ne nous impose pas les superlatifs de ce que l'on doit penser du film.


Avec Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud, Bernard Verley, Josiane Balasko, Hélène Vincent, Aurélia Petit, Eric Caravaca

Synopsis : Alexandre vit à Lyon avec sa femme et ses enfants. Un jour, il découvre par hasard que le prêtre qui a abusé de lui aux scouts officie toujours auprès d’enfants. Il se lance alors dans un combat, très vite rejoint par François et Emmanuel, également victimes du prêtre, pour «libérer leur parole » sur ce qu’ils ont subi.

On peut avoir vécu un évènement traumatique et l'enfouir au fond de soi, vivre, être heureux... jusqu'à ce que le passé vous ressurgisse en pleine face et que tout revienne en mémoire. C'est ce qui arrive à Alexandre, stupéfait de voir une photo du prêtre qui a eu des attouchements sexuels à son égard 30 ans plus tôt, toujours entouré de très jeunes enfants. Le frère d'une victime le dira à ses parents qui refusent de l'envoyer en camp avec le père : "je veux y aller, moi je ne risque rien, j'ai plus de 10 ans, c'est les petits qui l'intéressent".

Je commencerai par les deux faiblesses du film. Ce que j'appellerai le prologue m'a paru interminable. Alexandre est un homme à la vie plutôt bourgeoise. Il élève ses enfants dans la foi. Ils se rendent en famille à l'Eglise chaque dimanche, prient et chantent à en perdre la voix. Déjà là, sachant ce que cet homme a vécu, je me suis demandé comment il pouvait encore croire. Mais sans doute a t-il l'intelligence de ne pas mettre tout le monde dans le même sac d'ordures. Pourtant à la toute fin, il m'a semblé voir poindre sur le visage de Melvil Poupaud (très bien) un semblant de doute. La foi m'échappe toujours... Néanmoins, lorsqu'Alexandre commence à entrer en contact avec les autorités religieuses, sa seule motivation est que le prêtre pédophile soit destitué. Il est reçu par des sommités avec beaucoup d'empathie et d'écoute, jusqu'à Monseigneur Barbarin. Deux années durant, l'échange de courriers fermes mais polis et respectueux entre l'Eglise et Alexandre lus en voix off (c'est long...) n'aboutit à rien. Ce n'est qu'à l'issue de cette inaction, de ce silence assourdissant qu'Alexandre décide d'aller plus loin.

L'autre point faible provient selon moi des flash-backs qui alourdissent et allongent le film. Je n'avais aucune envie de voir le père jeune partir en camp avec les enfants, les emmener par la main sous sa tente ou chez lui dans son labo photos. ça ne sert strictement à rien qu'à ralentir le rythme qui en dehors de ces deux faiblesses est très soutenu.

Ce qui m'a surprise dans ce film très documenté et passionnant est l'absence de haine et de colère. Même en étant très factuel voire parfois didactique je trouve que le réalisateur réussit à nous émouvoir et à nous questionner sans charger le pathos. Evidemment, certaines victimes sont plus brisées que d'autres. Un jeune homme, dont l'âge, grâce à Dieu, fait que ses agressions ne sont pas prescrites refuse de parler pour ne pas avoir gravé sur le front la marque "victime d'un pédophile". François Debord (Denis Ménochet, subtil et touchant) qui, bien que transformé en casseur de curés, devenu athée et se réjouissant de son apostasie prochaine (action à laquelle j'ai déjà pensé plusieurs fois) ne se montre jamais agressif. Lorsqu'Emmanuel débarque enfin assez tard dans le film (Swann Arlaud, formidable comme toujours), le film se fait bouleversant.

Et l'on suit, on écoute intéressé, bouleversé, choqué, outré le parcours et les révélations de chacun (d'où l'inutilité totale des flash-backs) qui libère sa douleur, sa honte, son chagrin en parlant enfin, en racontant, en détaillant parfois. Tout comme on est stupéfait que le père Preynat dénoncé en 91 auprès de sa hiérarchie (le Cardinal Decourtray à l'époque) par les parents d'un enfant n'ait reçu aucune sanction et ait continué à enseigné le catéchisme auprès des enfants de plusieurs paroisses. Encore plus scandalisé de découvrir que le Père lui-même (interprété avec une vaillance et une humanité sans limite par Bernard Verley... César du meilleur second rôle l'année prochaine ???) n'a jamais nié les faits, réclamant au contraire des soins pour ce qu'il considère lui-même comme son "problème avec les enfants".

Car oui, la pédophilie est une maladie.
Idiote que j'étais, j'ai longtemps prétendu et cru que si les prêtres se mariaient, il n'y aurait plus de prêtre pédophile. C'est complètement faux car la pédophilie est une maladie, une perversion sexuelle et le fait d'être marié ne changerait rien à cette aberration abjecte : s'attaquer sexuellement à des enfants. C'est très bien expliqué dans le film et il n'y a hélas pas QUE des prêtres qui soient pédophiles.

Le Père Preynat accepte de rencontrer les enfants qu'il a aimés et qui sont devenus des hommes. Alexandre redevient l'espace de quelques secondes un petit garçon impressionné par celui qui a pourtant brisé son enfance. L'expression fugace du visage de Melvil Poupaud à cet instant est saisissante. Il a 8 ans. La confrontation avec Emmanuel (Swann Arlaud, vibrant de souffrance) est plus délicate. Ces enfants devenus des hommes accorderont-ils leur pardon ?

Entouré d'un casting luxueux (quel acteur ne souhaiterait pas travailler avec François Ozon ? Sophie Marceau, plusieurs fois sollicitée...) le réalisateur fait surgir parmi les garçons formidables d'intelligence, Hélène Vincent doucement coupable qui n'a pas compris la souffrance de son enfant à l'époque, Josiane Balasko, merveilleuse et combative et Aurélia Petit (tellement et trop rare) touchante en victime... intermédiaire.

70 victimes auraient été recensées par l'association créée par des victimes. Pour mieux et plus en savoir sur ce sujet, ce fléau et l'action des membres de la Parole libérée, je vous invite à vous rendre sur le site de l'association.

Commentaires

  • On n'attendait pas Ozon sur ce terrain (il semble que lui non plus si j'en crois une de ses nombreuses interviews promos), mais force est de constater qu'il gère le film-dossier sur un sujet des plus "touchy" (si je puis me permettre) avec un brio inespéré. Après la relative déception (qui vire à la haine chez certain.e.s) que fut "l'amant double", il aborde, comme tu l'as très bien expliqué, son sujet sans didactisme ni pathos, mais au contraire une infinie sensibilité. Et comme tu l'as très bien écrit également (mais parce que tu avais copié sur moi sans doute), les illustrations des méfaits du prêtre n'ont ici aucun intérêt, en plus de trancher dans le ton et la luminosité de l'ensemble. Elles ont d'autant moins d'intérêt que les actes n'intéressent que très secondairement le réalisateur puisque le matériau qui l'inspire tourne surtout autour des personnages victimes aujourd'hui, leur manière de vivre avec et malgré ce trauma. Il en fait des personnages de fiction (il change leur nom de famille, s'éloigne de leur vie privée réelle) et les observe "dans leur maison" en imaginant comment ils se sont construits intimement, psychologiquement, familialement et socialement avec ce vécu. Le cœur du film est là, donc pas très loin de ses autres films, ce qui fait de "Grâce à Dieu" un pur film Ozonien (et j'en profite pour déposer le terme).

    Il faudra ravaler ton hostie, l'ancien archevêque de Lyon c'est Decourtray. Tu me feras deux avé et trois pater. ;-)

  • Moi je n'attends rien de personne alors je ne peux qu'avoir de bonnes surprises. On peut dire qu'il est capable de tout notre Ozon. Si j'osais, je dirais bien qu'il ose mais non, je te laisse les jeux de mollets !
    Tu n'es pas obligé de dire devant mes milliers de lecteurs que je copie sur toi. C'est pas très blog friendly ça !
    Quant à l'Archevêque, je ne vois pas de quoi tu parles, aussi je m'estime dispensée des pater et avé !

  • Cette mauvaise foi ne m'étonne guère et me réjouit. :-)

  • Je n'aimerais pas te décevoir :-)

  • En effet, elles assurent. TOUTES.

  • J'ai été élevée par des religieuses absolument incroyables qui m'ont sauvée d'une vie de famille compliquée. J'ose espérer que si elles avaient été témoins d'agissements coupables de la part de prêtres elles auraient agi, dénoncé, mais aujourd’hui, avec un regard d'adulte, je n'en suis plus si sure ...
    J'ai tenté à plusieurs reprises d'aller voir Les chatouilles mais je n'ai pas pu franchir le pas.
    Sujets révoltants et difficiles, dont il faut pourtant parler. Merci à toi de le faire, j'en suis incapable.

  • Oh la la je n'ai aucun mérite. Je n'ai rien vécu d'horrible dans mon enfance même si j'ai appris et découvert des choses et des pratiques pas choupinettes dans ma famille...
    Les chatouilles est un beau film. La victime a une énergie de folie.

  • Je l'ai vu cet après-midi et je comprends tes réserves sur les flash-backs et le début, qui aurait pu être plus ramassé, mais tel qu'il est c'est un excellent film qui reprend bien les actions dans le temps. Je me suis demandée comme toi comment Alexandre pouvait continuer à aller à l'Eglise et à mettre ses enfants dans une école religieuse. Je me sentirais plus proche de l'attitude de Denis Ménochet. Je me demande ce que va donner ce foutu procès à venir, mais au moins grâce à eux "la merde" est sur la table (Ah la réflexion de la mère d'Alexandre !!). Les interprètes sont formidables.

  • Oui j'ai déjà du mal à comprendre ce fanatisme à la messe sans ce qui lui est arrivé...
    Je suppose que le père va être défroqué (super expression).
    Rappelle moi la réflexion de la mère ? Elle dit pratiquement que des conneries.

    J'adore quand Hélène Vincent dit : qui reveut de la quiche ?

    Je serais Denis Menochet à fond aussi.

  • Au début du film, quand Alexandre est chez ses parents pour une réception quelconque, il dit à sa mère qu'il a écrit à Barbarin. Elle lui reproche de ressasser "ces vieilles histoires". Il lui demande ce qu'en pense son père et là elle répond (à peu près) : il dit que tu as toujours été doué pour remuer la merde. Et elle s'éloigne ... je l'aurais baffée.

  • Ah oui je me souviens. Une bourge qui ne se soucie que du qu'en dira t'on. Je me disais que le père aurait eu une autre réaction et vlan : tu as toujours été doué pour remuer la merde...
    A baffer effectivement.
    J'adore la réaction d'Alexandre : je ne peux plus les supporter et la réaction de sa femme qui le soutient toujours et leur départ très correct. La conne de mère ne doit même pas se rendre compte qu'il est fâché.

  • Je suis sûr que c'est bien mais ce genre de sujet de société n'ayant jamais été ma tasse de thé, je ne suis pas très motivé pour aller le voir.

  • Dommage. J'aurais aimé te lire à ce sujet. C'est traité avec beaucoup de finesse je trouve. L'absence de haine est impressionnant. Moi je buterais qui s'approcherait de mes petits.

  • Rerebonjour Pascale, décidément, nous sommes en phase sur ces films vus récemment. Et ce sont des films français, mon côté chauvin est ravi. Bonne journée.

  • Exact, un bien bon niveau pour ces films. Ils savent faire autre chose que des comédies décérébrées les français...

  • Pas plus tard que samedi, m'a mère a encore dit que si les prêtres pouvaient se marier, il y aurait moins d’agressions d'enfants. Comme toi je pense Que ça ne changerait rien. Je reste persuadée que certains pédophiles sont devenus prêtres pour agir en totale impunité. Au moins, avec des films comme ça, on met l'accent sur une atrocité bien trop protégée, j'espère que ça changera. Sinon, comme tu le sais, je n'ai pas spécialement aimé le film, même si je n'ai rien à lui reprocher finalement. Je n'ai juste pas aimé ...

  • Oui c'est un raccourci un peu facile que je faisais aussi. Mais les pédophiles, mariés ou pas, existent et sont des malades.

  • Un très beau film, bouleversant et digne, avec une mise en scène maîtrisée et un discours pertinent sur l'importance de la parole, qui regroupe toutes les couches sociales, confrontées à l'horreur. Le discours est fédérateur mais en même temps, chacun gère sa souffrance et a construit sa vie différemment. Ce qui est génial avec ce film, c'est qu'il ne cherche pas à faire un discours anticlérical ou autre. C'est plus un moyen de ramener ces hommes d'église, persuadés d'être éternellement protégés par la loi du silence, confrontés à la loi des hommes. Au-delà des monstres, des gens déconnectés. C'est assez fascinant.

  • Oui c'est ça même si c'est consternant que ces hommes garant de la morale (ce qu'ils n'oublient jamais de nous rappeler) aient dans ce cas répugnant, scandaleux, besoin de la justice des hommes pour réagir. La religion me dégoûte mais ce film est très respectueux de la foi et ceux qui croient...

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