JE LE JURE - LIRE LOLITA À TÉHÉRAN
JE LE JURE de Samuel Theis ***
Avec Julien Ernwein, Marie Masala, Marina Foïs, Louise Bourgoin, Micha Lescot, Sophie Guillemin, Saadia Bentaïeb, Emmanuel Salinger
Fabio mène une vie banale voire ennuyeuse.
A quarante ans il est employé d'une recyclerie à Forbach, participe à des fêtes alcoolisées, va à la chasse aves ses potes et vit avec (chez ?) Marie, une femme de presque trente ans son aînée. Le jour où il reçoit une convocation pour être juré d'assises, sa première réaction à la vue de ce courrier officiel est de dire à Marie : "je n'ai rien fait, dis-leur que je ne peux pas y aller". Sa compagne lui explique que cette "activité" est obligatoire et que son absence l'expose à une forte amende.
Le procès en appel est celui d'un jeune homme pyromane responsable par son acte criminel de la mort d'un pompier et donc accusé d'homicide involontaire. Le but n'est donc pas de juger de la culpabilité de l'accusé qui reconnaît son acte mais conteste la lourdeur de la peine. Le jury devra donc se prononcer sur la durée de l'incarcération qui est au début du procès de 12 ans. A cette première originalité (le coupable est coupable et le reconnaît) s'ajoute une seconde dans le parti pris de s'attarder sur le parcours, la vie et surtout le tempérament du juré le plus taiseux, le plus introverti, celui qui a le plus de difficulté à prendre la parole et à exprimer son avis.
A ces deux titres le film est une totale réussite absolument stimulante. Les scènes de procès, les interventions des experts chargés d'exposer la personnalité de l'accusé, celles de l'accusé très bien interprété (par Souleymane Cissé... rien à voir avec le réalisateur malien mort récemment) pas toujours sympathique et pas vraiment antipathique, les rencontres informelles (au restau, en pauses clopes) entre les jurés et leurs débats supervisés par l'administration judiciaire sont de belle tenue. Crédibles et efficaces. Chacun y va de sa conviction, de ses jugements parfois à l'emporte-pièce. Tout un panel de citoyens "ordinaires" issus de milieux très différents est représenté. Et finalement Fabio va s'impliquer intensément avec sérieux dans sa tache, poser à l'accusé l'une des questions les plus sensibles, et en se trouvant confronté à une immense responsabilité peut-être mûrir un peu voire s'épanouir et surtout accepter un pan de sa vie qu'il dissimulait jusque là.
Le film est dense et parfaitement documenté. La sanction infligée est-elle juste ? L'accusé-coupable avait-il son discernement altéré au moment des faits ? Doit-on le forcer à se soigner ? Les conditions de détention (on visite une cellule) sont-elles adaptées ? A cela s'ajoutent deux plaidoiries que j'ai trouvées admirables. Celle de l'avocate générale (Sophie Guillemin, parfaite) qui reconnaît à l'accusé de ne pas nier son crime mais réclame une peine supérieure puis celle de l'avocat commis d'office et particulièrement compatissant.
Après Party girl et Petite nature, Samuel Theis démontre sa maîtrise de ses sujets parfois à la limite du documentaire et continue d'ancrer ses histoires dans le bassin minier mosellan qu'il connaît bien. Comme chaque fois, des acteurs confirmés (Marina Foïs, Louise Bourgoin, Sophie Guillemin) côtoient des non professionnels découverts lors de castings sauvages ce qui apporte une authenticité sans caricature au projet. Julien Ernwein (impeccable, charismatique, vraie gueule de cinéma) 42 ans maçon dans la vraie vie et Marie Masala (formidable) 69 ans sont admirablement dirigés.
Le film m'a semblé néanmoins alourdi par la relation entre Julien et Marie. Du fait de leurs presque trente ans d'écart, le fait qu'il cache cette relation, que Marie se sente parfois rejetée me semblent faire partie d'un autre film, d'un autre thème. Je n'ai pas compris ce que cette relation venait faire ici d'autant que Fabio se jette sur la première personne de son âge qui lui plaît lors du procès (le "je ne suis pas une petite chose" de Louise Bourgoin faisant office de consentement pour qu'il l'embrasse...). Pour le reste, un sans faute, nickel.
Le verdict m'est apparu tout à fait surprenant.
.........................
LIRE LOLITA À TÉHÉRAN de Eran Riklis **
avec Golshifteh Farahani, Zar Amir Ebrahimi, Mina Kavani
Ce film retrace une partie de la vie de Azar Nafisi adapté de son livre éponyme, professeure à l’université de Téhéran, en exil aux Etats-Unis depuis 1997. Après des études et un doctorat en littérature anglaise et américaine à Londres, elle rentre à Téhéran où elle enseigne à l'Université. Elle en est évincée en 1981 suite à son refus de porter le voile islamique devenu obligatoire depuis la prise du pouvoir par Khomeini (dont les portraits tapissent les murs de la ville). Elle réunit secrètement sept de ses étudiantes pour lire des classiques de la littérature occidentale interdits par le régime, les très subversifs (sic) Lolita, Orgueil et préjugés, Daisy Miller, Gatsby le magnifique... Lorsqu'elles se retrouvent entre elles, elle libèrent leur chevelure et discutent sans crainte ni gêne de leurs espoirs, de leurs rêves, de leurs désirs.
Malgré la force du sujet qui n'élude pas les arrestations, les tortures, les assassinats (sans RAISON), la qualité de l'interprétation, l'observation de l'oppression (toujours des mêmes en majorité : les femmes), les violences conjugales... le film dénonce poliment, il m'a paru léger, mou, presqu'inoffensif comme si le fait de lire suffisait à ces femmes (intellectuelles et plutôt nanties socialement) de s'en sortir mieux. L'exil de la romancière prouve que non. Le livre est peut-être alors plus percutant.
Les femmes qui lisent et ont de belles et opulentes chevelures brunes continuent de faire trembler les hommes. Mais ce qui continue de me terrifier sont ces femmes, corbeaux ou hirondelles, chargées de fouiller, bousculer, fouetter d'autres femmes.
Notons que le réalisateur n'est pas iranien mais israélien.
Commentaires
"Je le jure" me tente bien par son thème. "Lire Lolita à Téhéran", j'ai abandonné assez vite le livre, ennuyeux dans mon souvenir, je n'accrochais pas et pourtant le sujet était porteur. Le film n'a pas l'air plus palpitant alors qu'il y aurait de quoi.
Oui, il est très bien ce film (Je le jure).
Apparemment le film retranscrit l'ambiance du livre... C'est assez ennuyeux malgré le thème. Comme si le réalisateur voulait rester neutre et ne heurter personne. Mais bon sang, ce qu'elles endurent c'est innommable !
J'ai trouvé "Je le jure" passionnant de bout en bout, tant pour son intrigue judiciaire que pour le portrait social et le trouble intérieur du héros. J'y suis allé un peu par hasard et ce fut une excellente surprise... mais nous n'étions que deux dans la salle.
Oui c'est vraiment bien.
Je ne sais si ce film est torpillé à cause de son actualité judiciaire... c'est dommage si c'est le cas.
"Lire Lolita à Téhéran" ... Complètement d'accord avec toi, effectivement ça reste un peu trop en surface, et surtout je m'explique pas comment elle a pu traverser les années de façon aussi "libre"
"Je le jure"... beaucoup aimé malgré un ton délétère un peu trop appuyé voir caricatural
Je suis d'accord. Lorsqu'elle entre et s'oppose au gardien de la fac... pourquoi et comment entre t'elle ? Tout est survolé... C'est chouette, les femmes s'entendent bien mais c'est un peu léger.
Et l'amitié avec l'homme dont le mari est jaloux, je n'y ai pas cru un instant tant l'acteur joue mal. La pauvre Golshifteh m'a paru bien seule pendant ces scènes et j'avais l'impression qu'il avait envie de se jeter sur elle.
Tu ne connais pas le grand Est profond et mosellan.
Bonjour Pascale, j'ai trouvé le film d'Eran Eklis, d'un ennui abyssal malgré les actrices. Bon week-end.
Bonjour dasola. Il est vrai quil y a de quoi somnoler. Le sujet et les actrices méritaient mieux.
Je suis d'accord sur Lire Lolita à Téhéran, je me souviens d'un livre plus fort. Le film parait bien léger et relativement inoffensif au regard de ce que vivent ces femmes, malgré les scènes de torture à la tristement célèbre prison d'Evin.
Je suis d'accord c'est vraiment très léger en comparaison de ce qu'elles subissent.