MARCO, L'ÉNIGME D'UNE VIE
de Aitor Arregi et Jon Garano **(*)
avec Eduard Fernandez, Nathalie Poza, Chani Martin
Ce n'est pas le cas en Espagne où ce barcelonais mort en 2022 à l'âge respectable de 101 ans fut à l'origine d'un scandale scabreux. Nous l'apprenons dès le prologue. Enrik Marco a pendant 30 ans été un mythomane manipulateur en prétendant être un survivant des camps nazis. Il donnait des conférences dans les écoles pour raviver la mémoire sur l'ignominie des crimes commis par les nazis. Il fut également l'auteur d'une autobiographie mensongère parue en 1978 dans laquelle il témoigne des conditions de vie dans les camps. Son histoire est "simple". Selon lui, militant anarchiste exilé en France lors de la guerre d'Espagne il aurait été arrêté par la Gestapo et déporté au camp de Flossenbürg et serait rentré en Espagne en 1946 pour reprendre la lutte contre la dictature franquiste. La réalité concernant les camps est tout autre.
Membre dirigeant d'une association en mémoire des victimes du nazisme et à la veille d'en devenir le président car il en est l'un des acteurs les plus actifs, un historien, Benito Bermejo, le contacte et lui annonce qu'il a les preuves qu'il n'a été ni à Flossenbürg ni à Mauthausen là où était rassemblée la majorité des déportés espagnols. Marco multiplie les manoeuvres pour éviter de rencontrer et même de parler à l'historien. C'est ce que décortique le film. Les tentatives misérables de l'homme pour échapper à la vérité et devenir président coûte que coûte.
Pour les différents intervenants qui l'écoutent, il est difficile de mettre en doute la véracité des propos d'une prétendue victime. Lorsqu'on ne trouve pas son nom dans les registres détenus par les autorités allemandes à qui il réclame un certificat officiel de sa déportation, il prétend avoir donné un faux nom. J'ai découvert que c'est grâce au film qu'Enric Moner véritable résistant et déporté, a appris que Marco avait usurpé son identité.
J'ai regretté qu'au travers de ce cheminement vers la vérité (que le personnage principal refuse longtemps de reconnaître persuadé de ne faire de mal à personne et d'aider au contraire à la reconnaissance des victimes), on ne comprenne pas réellement ses motivations. Sa faconde et sa façon mielleuse de séduire ne suffisent pas à nous éclairer. Aimait-il être regardé, écouté ? Cherchait-il à tout prix que la lumière soit dirigée vers lui ? Mythomane et manipulateur, oui, jusqu'au bout. Car après avoir été démasqué, il continue de lutter pour faire reconnaître son statut de victime. Il va même jusqu'à contacter l'historien à l'origine des révélations dans l'espoir qu'il écrive sa véritable histoire qu'il estime passionnante. Son unique argument est que son imposture n'a véritablement nui à personne. Ce n'est pas si sûr car cette mystification minable laisse le champ ouvert à tous les négationnistes toujours prompts à s'engouffrer dans les brèches. Il prétend aussi que ses mensonges et sa popularité grandissante ont permis que les autorités espagnoles ouvrent les yeux sur la réalité. Ce qui n'est pas faux.
C'est ainsi que l'on apprend que plus de 9 000 espagnols ont été déportés dont 3 000 ne sont pas revenus. La majorité étaient des exilés de la guerre civile contraints de fuir le régime de Franco. A leur libération en 1945, aucun pays ne voulait d'eux (ce qu'évoque le magnifique film d'animation d'Aurel Josep) et étaient considérés comme des ennemis dans leur propre pays.
Est-ce parce que je savais dès le départ que Marco est un menteur qu'à aucun moment je ne l'ai trouvé trouvé touchant ou convaincant, même lorsqu'il raconte ses (faux) récits de déportation ? C'est davantage la crédulité aveugle voire la naïveté de ses interlocuteurs qui surprend : lorsqu'une jeune fille lui demande de lui montrer son tatouage, il élude, lors d'un de ses récits il prétend qu'il jouait aux échecs !!! Personne ne met en doute ou n'insiste pour connaître les détails. Seul un historien pointera les incohérences de ses récits.
J'ai eu l'impression d'être face au portrait non d'un sale type mais d'un pauvre type. Ce sont toujours les mots qui me venaient à l'esprit, pauvre type et pathétique. Je trouve que les méandres voire la noirceur de l'âme humaine n'est pas suffisamment explorée. Marco reste une énigme.
Néanmoins le film, sobre et relativement didactique lève un voile sur un pan peu glorieux de l'histoire espagnole pour qui les déportés n'existaient pas et la Shoah était ignorée. La reconnaissance des victimes de l'holocauste en Espagne ne s'est faite que très tardivement dans les années 1990...
L'acteur Eduard Fernandez joue cet imposteur avec un génie certain.
Des mêmes réalisateurs je recommande le très puissant et émouvant Une vie secrète.