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12 JOURS

de Raymond Depardon ***

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Avant 12 jours, les personnes hospitalisées en psychiatrie sans leur consentement sont présentées en audience, d’un côté un juge, de l’autre un patient, entre eux naît un dialogue sur le sens du mot liberté et de la vie.

Une nouvelle fois Raymond Depardon, ancien reporter de guerre, frappe fort avec son beau cinéma documentaire. Une fois de plus, après La vie moderne, Journal de France ou Les habitants, il nous met face à certains de nos concitoyens. Des invisibles qu'il est bien difficile de filmer puisqu'aujourd'hui, avec le droit à l'image, le consentement de chacune des personnes qui apparaît à l'écran est nécessaire.

Le principe de base est une loi de 2013 selon laquelle les patients hospitalisés dans un hôpital psychiatrique sans leur consentement doivent être présentés à un juge des libertés et de la détention avant 12 jours afin de déterminer si l'internement doit être prolongé, s'il est justifié. Avant cette date, seuls les psychiatres décidaient de l'hospitalisation. C'est dire si le rôle du juge est difficile et délicat. Ils sont 4 ici et chacun le répète à son tour : "je ne suis pas médecin". Il n'a pour prendre sa décision que les documents et autres expertises de l'hôpital ainsi que la parole du patient lui-même qu'il reçoit lors d'un entretien en présence d'un avocat.

Le dispositif, toujours le même, se répètera 10 fois au cours du film. Entre chaque entretien, Depardon et sa caméra parcourent les couloirs vides, sinistres de l'hôpital, s'attardent dans une cour encadrée de grillages où un patient fait les cent pas inlassablement, se fixent sur une chambre déserte où pendent du lit les liens destinés à immobiliser un patient, se posent derrière une porte close d'où s'échappent des cris et propos incohérents... Aucun commentaire, les images suffisent.

En ce qui concerne les entrevues entre les juges et les patients, Depardon et sa caméra fixe filme tour à tour le visage des interlocuteurs dans une pièce sinistre de l'hôpital pompeusement baptisée "salle d'audience". On ne sait jamais qui va entrer, un homme, une femme, jeune, plus âgé ! Chaque fois, une histoire terrible nous attend, contée de la manière la plus claire et précise possible par le patient qui la plupart du temps conteste son enfermement. Il n'y a pas de hiérarchie dans cet "échantillon" qui va du burn-out au travail, au récit de viol, à la violence dans la rue, au meurtrier dans le déni total, à la jeune mère inapte et désespérée d'être séparée de son enfant, à cette autre placée sous tutelle depuis de longues années et qui n'a plus qu'un seul projet : mourir... Je vous laisse découvrir.

Le point commun est la détresse de ces êtres, visiblement abrutis et ralentis par les traitements dont certains ne comprennent même pas de quelle mesure ils font l'objet, pourquoi ils sont là, pourquoi ils passent devant un tribunal. Certains parlent d'abus de pouvoir et d'emploi excessif de la force. A ce titre le récit (parmi d'autres) de la frêle dame qui travaille à Orange, ceinturée par 12 personnes, dépossédée en 2 minutes de tous ses effets personnels est glaçant.

Face à eux et alternativement, 4 juges, 2 femmes et 2 hommes. A l'exception d'un (le barbu) manifestement pressé d'en finir, il coupe la parole de ses interlocuteurs, sans doute a-t-il la bonne distance pour exercer son ingrat métier, j'ai trouvé les 3 autres juges assez impressionnants dans leur tentative parfois délicate d'être le plus clair possible, leur douceur, leur pédagogie et leur empathie.

Si à deux ou trois reprises il n'est pas interdit de sourire lorsque ce patient, comme un enfant sage, essaie de bien se comporter et emploie des "votre honneur" pour s'adresser au juge, cet autre  (incroyablement cinégénique il faut le reconnaître, plus crédible qu'un personnage de fiction...) pressé de sortir car il a un parti politique à créer et déclare "dans mon parti je supprimerai les psychiatres", je dois dire que je suis sortie en larmes de la projection. Toute cette détresse est la plupart du temps insupportable et le discours "j'ai la folie d'un être humain", "je ne vous entends pas, il y a des voix dans ma tête" bouleversant, mais la plupart des personnes que l'on découvre se sent victime d'une injustice.

En exergue du film, cette phrase de Michel Foucault : "De l'homme à l'homme vrai, le chemin passe par l'homme fou".

Commentaires

  • Très belle et très juste citation. J'en suis sortie en me disant que nous étions tous fous, et susceptibles de basculer. Ce documentaire est très beau, très juste et très humain. Mais désolant aussi.
    Une vraie claque, clairement ... Bravo Depardon, quel humaniste !

  • Cet homme est incroyable. Surtout son regard sur l'humanité. Il m'épate.
    J'espère que tu as vu ses autres films.

  • J'ai vu quelques unes de ses expo, j'ai vu aussi Les habitants.

  • Super. Quand on a vu un film ou deux, on ne peut plus s'en passer !

  • Dis donc, ça ferait un diptyque avec le "Titicut follies" que j'ai vu il y a peu.
    Il faut que je découvre Depardon autrement que par ses photos !

  • Je ne connais Titicut.

  • Je vais y aller cette semaine. Je m'attends à du costaud, mais venant de Depardon, on n'attend pas autre chose. Et la régression actuelle du côté de l'HP est vraiment inquiétante.

  • Je ne connais pas l'état de L'HP et espère ne jamais le connaitre... Tu es prévenue tu vas être secouée!

  • Quelle folie d'être passé à côté de ce film en salle ! heureusement, le service public (à une heure scandaleusement tardive néanmoins) m'a offert une deuxième chance. Et je dois dire que je ne regrette pas ce passage chez le juge !
    Tu as tout dit, de l'émotion qui nous étreint à cette ambiance pesante qui règne sur les lieux (ce magistral plan séquence d'ouverture, comme dans un immense vaisseau silencieux, comme si d'Alien aux aliénés il n'y avait qu'un saut dans l'espace). J'étais sanglé dans mon fauteuil, comme sous emprise.

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