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LA CONFÉRENCE

de Matti Geschonneck  ***

La Conférence

Avec Philipp Hochmair, Johannes Allmayer, Maximilien Brückner, Jakob Diehl

Le 20 janvier 1942, une quinzaine de dignitaires du IIIe Reich convoqués par Reinhard Heydrich se réunissent dans la superbe Villa Marlier sur les bords du lac Wannsee.

La réunion durera 1 h 30, pas plus et a pour objectif de trouver une solution plus radicale à l'extermination des juifs. Si la Shoah a déjà commencé depuis plusieurs mois, la méthode pour éradiquer la cause de tous les malheurs de l'Allemagne, 11 millions de juifs, demanderait plusieurs années. Il faut donc mettre au point la "solution finale" qui exige une organisation logistique de grande envergure. Comment rassembler un tel nombre d'individus pour les exterminer ?

On trouve autour de la table tout ce que l'époque comporte de ceux qui vont devenir les criminels de guerre parmi les pires (mais on a fait presque aussi bien depuis...) issus de la Waffen SS, du parti national-socialiste, des fonctionnaires de différents ministères, des gouverneurs de certaines provinces conquises qui ne veulent pas accueillir toute cette chienlit. Et la réunion, remarquable par le calme dans lequel elle se déroule, excepté quelques petites luttes de pouvoir internes qui font presque pitié tant ces gens n'avaient aucune vision de l'avenir, aucune clairvoyance.

Le film n'a rien de spectaculaire. Il est comme son titre et ne s'éloigne jamais du sujet. Des hommes autour d'une table discutent d'un ordre du jour. Il a été tourné dans la villa même où l'évènement s'est déroulé et qui abrite aujourd'hui un mémorial et un centre éducatif.

https://focus.courrierinternational.com/2023/04/07/0/0/1920/957/1280/0/60/0/c133c90_1680871069568-la-villa-de-wannsee.jpg

La conférence qui est en fait plus une conversation où chacun apporte son point de vue ou soulève des interrogations est tout du long courtoise et lorsqu'un des dignitaires émet la fragile opinion qu'il s'agit quand même de tuer des gens (concrètement comment s'y prend-on ?), Heydrich lui répond dignement, fièrement et peut-être vaguement désabusé : "c'est tombé sur notre génération, c'est à nous de le faire." Lorsqu'un autre évoquera la charge mentale, le traumatisme que représente pour les soldats allemands le fait d'exécuter des gens (au départ chaque juif est exécuté par balles), un autre encore lui répondra "mes hommes n'ont aucun problème pour faire leur devoir".

Mais concrètement, l'Allemagne en guerre va manquer de munitions. Et c'est là qu'intervient le fameux zyklon b, à la base un pesticide dont la concentration en acide cyanhydrique qui inhalé sous forme de gaz assure la mort en quelques minutes. Mais comment faire entrer des gens en grande nombre dans une même pièce ? Etc... aucune question pratique n'est éludée. Calmement, pédagogiquement, l'ignoble et appliqué Eichmann (je vous recommande l'Affaire Sensible de Fabrice Drouelle à écouter en podcast concernant la traque de ce nazi zélé) répond à toutes car une solution est envisagée pour chaque cas. Comme celle de faire signer une décharge à chaque juif concernant ses biens confisqués avant de le faire monter dans un train, parce que c'est rassurant, ça officialise. Et lorsque les chambres à gaz seront évoquées, un participant s'exclamera admiratif : "les rassembler sans avoir à les héberger ?"

Le film est asphyxiant et je trouve que c'est ce qui fait sa force. A aucun moment, sauf pour une pause clope au bord du lac, si beau, si doux, si apaisant, le réalisateur ne nous sort de son objectif. Nous faire entendre ce qui s'est dit ce jour-là car le film reprend les termes de la conférence retranscrits dans un procès-verbal dont il ne reste qu'un exemplaire.

Jardins de la Villa Marlier : Villa Marlier : Wannsee : Berlin : Routard.com

En moins de deux heures le sort de 6 millions d'êtres humains a été scellé dans la plus parfaite inhumanité. Banaliser l'horreur tels que ces hommes l'ont exprimée est parfaitement adapté au propos. Le réalisateur réussit son intention de ne pas parasiter la transcription de cette conférence par des effets. Ce qui s'est dit là n'accorde aucune place à l'humanité. Le scénariste dit : "C'est un langage plein d'euphémismes et de chiffres, qui étouffe toute empathie, et c'est bien là son but. Un langage qui dégrade, qui exclut, qui rend le meurtre banal." 

Lorsque tout a été dit et que ces hommes se séparent, chacun devant se rendre à une autre réunion aussi urgente, la restructuration de la poste allemande par exemple, Heinrich s'adresse à Eichmann dans un sourire : "ils ne pourront pas dire qu'ils ne savaient pas".

Les courageux acteurs sont très bien.

Alors que la salle se rallumait trois dames d'un âge certain étaient excédées :

- Oh la la, les juifs, les sang-mêlés, tout y passe, j'en pouvais plus.

- Toi tu as bien dormi en tout cas.

- Oh oui, que c'était long et ça parle tout le temps.

- Moi je la connaissais cette histoire...

J'avais envie de leur demander à quoi elles s'attendaient mais je me suis abstenue. Quand on va voir un film qui a pour titre La conférence, que sur l'affiche il y a des hommes attablés et des croix gammées partout, peut-on s'attendre à voir Les Bronzés font du ski ?

Donc, vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas : ce film est éprouvant, glaçant mais utile.

Commentaires

  • Bonjour Pascale, j'ai trouvé que la salle était composée de jeunes de 20 ou 30. Un monsieur Noir à côté de moi a dormi mais au moins deux personnes sont parties avant la fin. Un film sobre comme je les aime sans un poil de musique. Les acteurs sont tous très bien. Bon après-midi.

  • Bonjour dasola, "Ma" salle dépassait plutôt les 60 et ça a pas mal ronflé aussi.
    La forme, sans fioritures, colle parfaitement au fond.
    Bonne journée.

  • Glaçant ça ne m'étonne pas avec le sujet .. la réflexion "mes hommes n'ont aucun problème pour faire leur devoir" me fait penser au livre de Daniel Mendelsohn "les disparus". Ce n'était pas si facile que ça, les soldats étaient écoeurés et déprimés. Les Allemands ont fini par filer la corvée aux Ukrainiens, moins sensibles apparemment.

  • J'imagine qu'il y avait des sadiques sans état d'âme et des hommes qui ne comprenaient pas et ne supportaient pas ce qu'ils faisaient. C'est une horreur de quelque côté qu'on se tourne.

  • Tu n'as pas vu le film de Kenneth Branagh "Conspiration", sur le même sujet, également glaçant ? et qui n'a eu, vu le sujet, aucun retentissement, malgré le casting.
    Lectrice de l'ombre, je te lis toujours avec grand plaisir, même si nos goûts divergent

  • Non je ne l'ai pas vu mais tu me tentes bien car j'adore Kenneth Branagh et je l'imagine parfait pour bien traiter le sujet. Le manque de retentissement vient peut-être du fait qu'il n'est sorti en salle. J'y serais allée. Je ne suis abonnée à aucune plate forme et ça commence à être bien pénalisant.
    Merci de me lire. N'hésite pas à commenter.

  • Ah, voilà un film pour mon amoureux, passionné de 2ème guerre mondiale qui connait tout : du nom de toute la Waffen SS jusqu'au bruit des moteurs de chars ou d'avion (si, si), je vais l'envoyer le voir, pendant que j'irai voir un truc drôle : on risque de ne pas être de la même humeur à la sortie !
    Sinon juste pour info au sujet de la molécule du zyclon B, elle est toujours utilisée pour la fumigation des camions ou containers dans le transport de céréales, sous contrôle très strict.

  • Alors ce film est pour lui, toute la joyeuse clique est réunie...
    Heureuse d'apprendre que le zyclon B circule toujours, vaut mieux être prévoyant...

  • Un téléfilm tout en sobriété dont le propos ne prêtent pas à l'endormissement, vraiment pas. Une réalisation parfaitement maîtrisée qui illustre bien la banalité du mal ! Une page d'histoire douloureuse mais à voir

  • Ce n'est pas un téléfilm mais oui, c'est difficile de s'endormir en écoutant ces horreurs proférées tellement tranquillement comme si on parlait d'éradiquer les moustiques.

  • C'est un film a-spectaculaire... et pourtant bien plus marquant que des œuvres tapageuses. Le sujet y est pour quelque chose, mais aussi les dialogues, les acteurs (pas connus mais très bons, je trouve)... et les sous-entendus, puisque toute la conférence a pour sujet la "Solution finale", c'est-à-dire la déportation et la mort des Européens juifs, mais que l'on se garde bien d'expliciter la chose. Les criminels ont parfois de ces pudeurs...

  • Tout est très soigné dans ce film en effet.
    C'est finalement Müller interprété par Jakob Diehl qui m'a le plus impressionnée. C'est le plus ambigu de tous.
    Les pudeurs de langage sont effectivement exceptionnelles lors de cette conférence. Même pas ou à peine de manifestation haineuse.

  • Il nous semble pourtant qu'il s'agit bien d'un téléfilm, diffusé le 24 Janvier 2022 sur ZDF, la deuxième chaine allemande, suivi d'un documentaire. C'est une coproduction ZDF et Constantin Television GmbH.

  • Désolée vous avez sans doute raison je n'ai pas vérifié cette info.
    Mais après recherches, le film est bien répertorié dans la catégorie film et pas téléfilm. Il est financé par ZDF mais beaucoup de films sont produits par des chaînes de télé et bien sortis en salle.

  • Heinrich/Heydrich, on s'y perd j'ai l'impression ;-) En tout cas, ça manque d'une touche féminine.
    On dirait bien que ce film vient se superposer à l'excellent téléfilm "Conspiration" de Frank Pierson (avec ton cher Kenneth et Stanley Tucci dans le rôle du méticuleux Eichmann). Cette version allemande me tente assez.

  • Je ne suis pas surprise de me mélanger les pinceaux, je suis obligée de vérifier à chaque fois. Je vais tenter de rectifier.
    Je suis estomaquée de constater que tu te souviens qui sont mes chers... Sans doute as-tu loupé l'épisode où je racontais que Stanley et moi avons visité ensemble le Guggenheim de la Sérénissime.
    Et oui, j'ai très envie de voir la Conspiration.
    Il y a une très jolie nazie dans le film qui a même quelques lignes de dialogue. Elle prend les notes.
    Même les serveurs de la conférence sont des garçons.
    Une version allemande est en effet sans doute encore plus percutante.

  • Ils sont courageux, je trouve, les artistes allemands qui se confrontent à ce sujet. Cela ne me poussera pas à aller voir le film, mais je suis d'accord avec toi pour dire que ce cinéma-là est utile. Et même nécessaire, à mon avis, même si on peut penser de prime abord que ça ne convaincra que les convaincus.

    Le jour où, découragés, les gens qui défendent l'humanité s'arrêteront... ils laisseront la place aux extrémistes et c'est là que ça risque vraiment de faire mal. Alors merci à Matti Geschonneck et à tous les autres, impliqués dans cette production.

    Pour faire un parallèle, j'avais essayé de lire "Les bienveillantes", avant de caler au tiers du bouquin (soit 700 pages tout de même, si mes souvenirs sont bons).

  • Je trouve aussi qu'ils sont courageux. Surtout les acteurs qui sont exposés dans ces costumes ornés de croix gammées.
    Concernant l'avenir de l'humanité, je suis vraiment effrayée et consternée. Le Soudan en ce moment... c'est terrible.

    Ah oui, caler à 200 pages c'est couillon mais le personnage est un concentré de ce que l'humanité a fait de pire. J'ai calé aussi mais j'ai souvent envie de reprendre. Je crois que l'ordure est basé un temps en Ukraine.

  • Intéressant, mais on apprend rien de plus sur cette conférence qu'on ait déjà vu avant, soit dans des documentaires ou même et surtout dans "La Conspiration" (2001) avec Kenneth Branagh que j'ai trouvé plus "audacieux" dans sa mise en scène et dans sa direction d'acteur.

  • Je n'ai pas vu La conspiration (mais j'aimerais) et je trouve que la sécheresse de la réalisation ici convient parfaitement au thème. Je ne vois pas ce qu'on pourrait apprendre de plus. Le programme de cette conférence a été appliqué à la lettre.

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