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jean pierre léaud

  • CAMILLE REDOUBLE de Noémie Lvosky ***

    Camille Redouble : photo India Hair, Judith Chemla, Julia Faure, Noémie LvovskyCamille Redouble : photo Michel Vuillermoz, Noémie Lvovsky, Yolande Moreau

    En ce soir de réveillon, Camille a bu plus que de raison. Plus que d'habitude encore. Depuis la mort de sa maman, il y a 25 ans, Camille a tendance à chatouiller la dive bouteille mais cette fois, Camille est triste, malheureuse, désespérée et a mis les bouchées doubles. Eric, l'amour de sa vie la quitte pour une fille plus jeune. Assommée d'alcool, Camille s'endort et se réveille 25 ans plus tôt à l'hôpital en semi coma éthylique. Ses parents, honteux mais vivants, viennent la chercher et la ramènent à la maison. Après un temps d'adaptation Camille est bien obligée de se rendre à l'évidence. Elle a fait un retour dans le passé et doit retourner à l'école. Elle a 16 ans, retrouve ses amies d'enfance, n'a pas encore rencontré celui qui allait devenir son mari, mais aussi elle profite des dernières journées avant la mort de sa maman.

    Camille redevient ado avec sa conscience et son vécu d'adulte. C'est prodigieux. Va t'elle pouvoir "empêcher" sa maman de mourir, même si elle n'oublie pas cette fois d'enregistrer sa douce voix sur une cassette ? Va t'elle réussir à ne pas succomber à Eric pour s'éviter de souffrir 25 ans plus tard ? Mais si elle n'épouse pas Eric, sa fille ne pourra pas naître, que faire ? Pourrait-on modifier le court du temps et des événements ? Noémie Lvosky empoigne son sujet et ne le lâche pas. Elle répond à toutes les questions sans les esquiver, sans se dérober sous des artifices et sans nous jouer l'entourloupe qu'on pouvait craindre du rêve et nous asséner à la fin un décevant "ça n'a pas existé". Elle laisse même des traces de son re-passage sur terre et à ce titre, sa rencontre avec son professeur interprété par Denis Podalydès charmant et embarrassé, offre des moments particulièrement surréalistes et émouvants.

    Le film est drôle et touchant. Tout est fin, intelligent et la réalisatrice réussit la prouesse de dépeindre une jeunesse adolescente loin des clichés habituels et pourtant parfaitement réaliste et crédible. Il faut bien une actrice folle et audacieuse comme Noémie Lvosky pour choisir et risquer d'interpréter elle-même à plus de 40 ans le rôle de Camille qui en a 16. Et le pari fonctionne magnifiquement. Dans ses habits trop petits, trop fluos, ses jupes courtes et ses pataugas, son total look vintage eighty, elle n'est jamais ridicule. Elle se fond dans la masse des ados. Il faut dire aussi qu'elle s'est entourée d'un trio d'actrices Judith Chemla, India Hair, Julia Faure époustouflant, preuve qu'il est possible de trouver des actrices jeunes et très jeunes qu'on n'a pas envie d'écharper dès qu'elles apparaissent. Loin s'en faut en ce qui les concerne. Avec trois personnalités bien affirmées et totalement différentes voire opposées, elles ont chacune quelques moments de bravoure impressionnants. Mention spéciale à Julia Faure lorsqu'elle annonce à ses amies qu'elle va devenir aveugle. Retenez votre souffle, elle est étonnante, bouleversante. Il aurait été par contre plus judicieux de confier le rôle d'Eric jeune à un autre acteur car Samir Guesmi, très bien en adulte, peine un peu à jouer l'ado. Cela n'enlève rien à la justesse du film qui relate une période de la vie que tout le monde traverse forcément et où chacun pourra s'y retrouver un peu, beaucoup... et surtout imaginer de pouvoir se blottir à nouveau dans les bras de ses parents !

    Noémie Lvosky aussi bonne actrice que réalisatrice joue sur la corde sensible une partition très émouvante surtout lorsqu'il s'agit d'évoquer sa maman (Yolande Moreau, magnifique et douce !) qu'elle voudrait empêcher de mourir. Tentez de retenir vos larmes lorsqu'elle chante la Petite Cantate tiens... Mais c'est aussi follement romantique, très très drôle, fantastique, plein de nostalgie. Une vraie douceur dans un monde de barbares.

  • LE HAVRE de Aki Kaurismäki ****

    Le Havre : photo Aki KaurismäkiLe Havre : photo Aki KaurismäkiLe Havre : photo Aki KaurismäkiLe Havre : photo Aki Kaurismäki, André Wilms, Jean-Pierre Darroussin

    Au Havre Marcel Marx mène une vie pépère auprès de sa femme Arletty qui le couve comme un enfant. Il est cireur de chaussures, ce qui n'est pas simple à une époque où tout le monde porte des baskets. Les rares euros qu'il gagne quotidiennement lui permettent de siroter quelques verres de blanc au bistrot en fumant des clopes avec les copains avant de rejoindre sa chérie qui lui sert son repas comme un Prince et de s'endormir comme un Pacha pendant qu'elle lui repasse ses vêtements pour le lendemain. Il n'est peut-être pas aberrant de supposer que Marcel est heureux malgré cette précarité qui le force entre autre à contracter moult dettes chez la boulangère et l'épicier du coin.

    La vie de Marcel bascule le jour où Arletty tombe gravement malade et se fait hospitaliser pour une longue période. Le même jour, il croise la route d'Idrissa jeune gabonais qui a fait le voyage dans un cargot au fond d'un container oublié sur le quai. Pendant qu'Arletty suit son très lourd traitement et somme le médecin de ne rien révéler de la gravité de son état à Marcel, ce dernier recueille le gamin qui a échappé à la police et lui promet de l'aider à rejoindre sa mère à Londres.

    Voilà un conte de Noël généreux et bienfaisant à des années-lumière de cette ânerie sirupeuse et faux derche. Dans un envirronnement âpre et terne (Le Havre semble être une ville blâfarde et grise) Kaurismäki offre un film pur et doux aux images belles tout simplement belles. Les drôles de paroissiens qui peuplent son histoire ont des trognes qu'on ne rencontre pas souvent au cinéma. Mais cette humanité cabossée va rassembler toute son énergie, sa noblesse de coeur évidente, sa générosité infaillible pour secourir un petit garçon, un migrant, un indésirable de ce côté ci de l'Europe. Une goutte d'eau dans l'océan, un grain de sable dans le désert mais "Celui qui sauve une vie sauve le monde" (parole du Coran et proverbe juif...), Marcel et ses amis vont donc agir avec leurs moyens pour sauver le monde. Mentir à la police, organiser un concert pour récolter des fonds parce que c'est à la mode, se mettre en danger sans rien attendre en retour. Et c'est beau, ça réchauffe le coeur même si l'on a vraiment plus que jamais la sensation d'assister à un conte utopique. L'espace d'un instant on y croit à cette fraternité, ce sens des autres, ce désintéressement. Est-ce que ce sont les plus pauvres, les plus démunis qui peuvent encore venir au secours de plus misérables qu'eux ?

    La révolte et l'indignation de Kaurismäki s'expriment en douceur sans démonstration grandiloquente. Néanmoins quelques images choquantes qu'on imagine même pas, dont l'ouverture du container "oublié" depuis des jours sur le quai avec plusieurs familles hagardes et quelques extraits de "vrais" reportages sur la "zone" où se sont réfugiés les migrants après la fermeture du centre de Sangatte font froid dans le dos. Mais le réalisateur s'attarde surtout avec sa délicatesse et sa poésie sur l'humanité poignante qui habite son film. Il est aidé en cela par des acteurs qui adoptent un rythme et un phrasé qui font rêver tant le langage employé ici est soigné. La légendaire nonchalance de Jean-Pierre Darroussin convient parfaitement à cet univers. Au volant de sa Renault 16 flambant neuve et sanglé dans un pardessus il a vraiment des allures d'Inspecteur Gadget. Quant à André Wilms, je l'aime d'amour depuis que j'ai entendu cette semaine une émission sur France Inter qui lui était consacrée. Interviewé pendant trois quart d'heure passionnantes par Pascale Clark il s'est montré d'une intelligence, d'une drôlerie, d'une finesse, d'une lucidité folles. Sa grande carcasse fatiguée, sa voix et sa diction d'un autre temps imprègnent totalement ce film bienveillant, tendre, naïf et généreux.