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ILLUSIONS PERDUES

 de Xavier Giannoli ****

ILLUSIONS PERDUES de Xavier Giannoli, cinéma, Benjamin Voisin, Vincent Lacoste, Cécile de France, Xavier Dolan, Jeanne Balibar, Salomé Dewaels, Jean-François Stévenin, Louis-Do de Lencquesaing, Gérard Depardieu

Avec Benjamin Voisin, Vincent Lacoste, Cécile de France, Xavier Dolan, Jeanne Balibar, Salomé Dewaels, Jean-François Stévenin, Louis-Do de Lencquesaing, Gérard Depardieu

Ascension, gloire et chute de Lucien de Rubempré.

"Je pense à ceux qui doivent trouver quelque chose en eux après le désenchantement."

Cette phrase s'affiche à la fin du film et elle étreint le coeur. Elle résume parfaitement le parcours du jeune Lucien aveuglé, gangréné par son ambition qui préféra sacrifier son talent et son amour à sa réussite.

Le roman de Balzac se découpe en trois parties : Les deux poètes, Un grand homme de province à Paris et Les souffrances de l'inventeur. Le film est uniquement consacré à la partie centrale, elle-même centrée sur le personnage de Lucien de Rubempré. Cette comédie humaine du XIXème siècle où les illusions se perdent, se fracassent même sur l'autel de la gloire vite acquise, du buzz, du bon mot assassin sans argumentation résonne de façon étrangement moderne. A n'en pas douter, en ce XXIème siècle, Lucien de Rubempré, avec son petit talent qu'il abandonne vite au profit d'une certaine facilité, serait devenu influençeur et aurait peut-être dégringolé de son piédestal aussi rapidement qu'il y était grimpé.

Orphelin, Lucien a obtenu un emploi dans l'imprimerie de son meilleur ami à Angoulême. Ses talents de poète sont remarqués par une noble dame, Madame de Bargeton dont il fait sa muse et, sincèrement épris, sa maîtresse. Persuadée qu'il pourra se faire éditer, elle l'embarque à Paris. Mais le jeune homme se ridiculise lors d'une soirée à l'Opéra, sa première apparition dans le monde et l'entourage de Madame de Bargeton, en particulier son "amie" l'influente et incontournable Marquise d'Espard (Jeanne Balibar perfide à souhait) la contraint à cesser cette liaison qui pourrait nuire à sa réputation. Et la réputation à cette époque est vitale. D'autant qu'une femme peut vite se retrouver sans soutien si elle refuse de se plier aux contraintes de son rang.

Après une période délicate, Lucien rencontre Etienne Lousteau (Vincent Lacoste, très à l'aise et plus mature enfin) journaliste en vogue qui l'invite à renoncer à ses velléités d'écrivain pour se consacrer au journalisme, beaucoup plus lucratif. Il faut dire que tout se vend au plus offrant, les articles, les critiques de pièces de théâtre, de livres et c'est effrayant de méchanceté, de bêtise et d'hypocrisie.

"Nous tiendrons pour vrai tout ce qui est probable". Cela pourrait être le slogan, le mantra même des réseaux sociaux de notre temps qui font circuler à une vitesse vertigineuse toutes les fake news et autres potins souvent dévastateurs. Hélas aujourd'hui, les ragots sont proférés par des imbéciles qui n'ont pas l'intelligence audacieuse et réaliste du XIXème siècle. A l'époque, ils avaient parfaitement conscience de leur roublardise, cela s'appelait "canards" et quelques anatidés se promènent d'ailleurs librement au sein de la rédaction. C'est ainsi que le nouvel ami de Lucien lui présente la ligne éditoriale du journal dans lequel il va désormais écrire ("Nous tiendrons pour vrai tout ce qui est probable".) Et avec sa plume facile, Lucien se régale. Un autre nouvel ami, écrivain talentueux, Nathan (Xavier Dolan, très bien), essaiera de ramener Lucien à sa passion première pour la poésie mais grisé par l'argent, le luxe et son nouvel amour pour une jeune comédienne Coralie, il préfèrera continuer sa vie de charlatan de la prose facile et meurtrière. La jeune et innocente Coralie fera les frais de la cruauté de ce monde sans morale.

Lorsque Lucien lira le dernier roman de Nathan, il le trouvera fabuleux et se montrera incapable d'en dire le moindre mal. Mais Etienne le convaincra que l'on peut dire tout et son contraire à propos d'une oeuvre et qu'il est d'ailleurs préférable de ne pas les lire pour en parler. A l'issue de cette incroyable conversation érudite, Lucien dira : "je ne sais même plus si j'aime ce livre".

L'éditeur le plus respecté de la place est un type inculte qui ne sait ni lire ni écrire mais qui sait compter. Gérard Depardieu, de plus en plus à bout de souffle, est encore une fois génial, cynique et sans illusion lui. La pire ordure dans ce panier de crabes pathétiques est peut-être Singali (sans doute le dernier rôle du formidable Jean-François Stévenin) qui vend ses services pour faire la claque ou jeter des tomates lors de soirées théâtrales. Il atteint le degré supérieur de la veulerie.

Comme héros balzacien, Xavier Giannoli a choisi avec une grande justesse le jeune et impressionnant Benjamin Voisin qui ne déçoit jamais de film en film. Lucien de Rubempré aura désormais son physique et sa beauté. Il incarne parfaitement le beau héros romantique, naïf mais dévoré d'ambition qui passe de l'innocence à la malice avec une aisance confondante. Lucien qui s'appelle en fait Chardon... souhaite pouvoir porter le nom de sa mère beaucoup plus aristocratique, de Rubempré. C'est cette exigence qui le fera chuter lorsqu'il passera du rang des libéraux à celui des royalistes.

Tout est brillant dans cette éclatante reconstitution d'une époque et des milieux de la noblesse, le journalisme et l'édition. La réalisation est énergique et virevoltante et le prestigieux casting est un festin.

A voir, à lire, absolument.

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Commentaires

  • Bonsoir Pascale, l'histoire d'amour entre Lucien et Coralie m'a brisé le coeur. La jeune actrice est sensationnelle. Quant à Jeanne Balibar, une spectatrice l'a très bien décrite : "du venin sur pied". Elle est effrayante. Bonne soirée.

  • Bonsoir dasola.
    Ils ont en effet de très belles scènes. Ils s'aiment sincèrement. C'est la scène au théâtre quand Coralie est sur scène et que Lucien court partout qui m'a fait mal.
    Jeanne Balibar et son regard en coin est effrayante oui.

  • Ah c'est un film à voir absolument.

  • J'ai globalement aimé le film, même si je suis moins enthousiaste que toi. C'est d'abord du bon boulot technique. Un gros travail semble avoir été fourni au niveau des costumes, des décors et de l'éclairage. C'est parfaitement maîtrisé au niveau de la mise en scène. Surtout, l'interprétation est top. Ce film regorge de talents.

    Ma réserve est liée à la représentation des médias. Selon moi, ce ne sont pas les réseaux sociaux qui sont caricaturés à travers la presse vendue, mais les médias qui ont pignon sur rue. Un spectateur peu informé aura l'impression que la presse sous la Restauration était complètement vendue... à l'image du cliché véhiculé aujourd'hui sur les médias "mainstream".

  • C'est mon interprétation et c'est moi qui fais le parallèle entre les réseaux sociaux et les fake news de l'époque. Mais c'est vrai que s'il y avait une presse digne à l'époque, elle n'est pas montrée ici. Le roman a d'ailleurs été "descendu" à l'époque. La presse n'a pas été ravie de ce que Balzac en démontrait.

  • Effectivement, un très beau film dont les libertés prises sur le roman sont judicieuses (Nathan/Dolan surtout), la reconstitution sublime et des acteurs au diapason. La flamboyance de Balzac juste après son austérité dans "Eugénie Grandet" sortit peu de temps avant

  • Oui c'est tout l'oppposé d'Eugénie Grandet, tellement statique et aux teintes ternes.

  • Tu es encore plus enthousiaste que moi. C'est une belle adaptation, bien que partielle, et un film au découpage vif et énergétique, comme tu le dis bien. Les acteurs sont excellents. Manquent cependant cette grandeur d'âme et cette générosité balzaciennes pour en faire un grand film je crois. A cet égard, et même si j'en comprends les raisons, j'ai regretté l'absence du Cénacle de d'Arthez comme je l'indique "chez moi". Le roman est un des plus beaux de toute la littérature mondiale.

  • Oui je suis très enthousiaste, c'est une superbe adaptation. J'aimerais avoir le temps de le relire, mais il y a tant à lire...

  • Pas encore vu. Jamais lu. Mais maintenant, je l'inscris dans mes priorités, histoire de voir à quoi ressemblent les anatidés dont tu parles dans ton article.

  • Tu y rencontreras aussi quelques ansériformes.

  • Et pourtant j'étais bon... La phrase qui tue, prononcée par Lousteau/Lacoste dit tant de cette culture du compromis, de l'abandon à la culture de l'argent plutôt qu'à défendre ses intimes convictions.
    Tu as raison, rien n'a bougé. Et Giannoli fait en sorte (comme Ridley Scott d'ailleurs à sa manière) de calquer cette époque sur la nôtre (les pigeons qui vont "twitter" des fausses nouvelles).
    Le scénario est même suffisamment habile pour contrer toute attaque critique (messieurs.dames du Masque et la Plume, à bon entendeur) dans cette scène savoureuse où Lousteau explique à Lucien comment dire du mal d'une œuvre qu'il a aimé et usant d'un argumentaire dont sont familiers bien des commentateurs actuels.
    Comme tu le devines, j'ai aimé. Beaucoup.

  • La phrase tue, mais Lousteau choisit la facilité. Comme Lucien.
    "L’amour est comme l’oiseau de Twitter
    On est bleu de lui, seulement pour quarante-huit heures
    D’abord on s’affilie, ensuite on se follow
    On en devient fêlé, et on finit solo."

    Il y a jolie lurette que je n'écoute plus le Masque et sa plume.
    Comment ne pas aimer ?

  • Vu in extremis. Nous avons beaucoup aimé. Tout : le rythme, les acteurs, les décors, les propos et même la voix off…
    Nous avons réécouté les critiques du Masque et la Plume : ils ont été dans l’ensemble admiratifs sauf J.M Lalanne des Inrocks. Certains journalistes, comme au temps de Balzac et pour les mêmes raisons, débinent le film. Trop susceptibles ?

  • Un des grands films de cette année.
    Il y a pas mal de temps que j'ai renoncé au masque et la plume. Je n'en pouvais plus de cet entre soi. Je ne tiens aucun compte de leur avis.

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