

Lorsqu'ils se retrouvent chez le notaire qui leur révèle le testament de leur mère, Jeanne et Simon sont stupéfaits de ce qu'ils entendent. Elle leur demande d'être enterrée nue, sans cercueil, face contre terre, sans plaque ni aucune inscription car elle considère que sa vie n'a été qu'une honte. Deux lettres sont remises aux jumeaux. Une à Jeanne que sa mère charge de retrouver leur père qu'ils n'ont pas connu, une à Simon qui doit chercher un frère dont ils n'avaient jamais entendu parler. Ce n'est que lorsque ces deux lettres auront été remises à leurs destinataires que Nawal autorisera les siens à l'inhumer dignement.
Denis Villeneuve alterne les flash-back qui déroulent toutes les étapes de la vie de Nawal dans un pays du Moyen-Orient qui n'est jamais cité et les recherches menées de nos jours par sa fille Jeanne (Simon ayant refusé de céder à ce qu'il considère comme un nouveau caprice d'une mère fantasque et absente) qui "débarque" dans ce pays inconnu pour elle puisqu'elle vit depuis toujours avec son frère au Canada. Nous suivons avec le même effarement que Jeanne puis de Simon (qui finira par rejoindre sa soeur) les découvertes qu'ils font de la vie de leur mère. Et c'est avec le même effroi que nous recevrons dans les dernières minutes l'étendue de l'horreur de ce que Nawal a vécu et surmonté, tout ce que cette femme humiliée depuis sa plus folle jeunesse a subi, remettant en cause certaines évidences mathématiques... Le réalisateur ne nous laisse aucun repos, nous asphyxie littéralement en osant aller jusqu'au bout de l'indicible. Et j'avoue que c'est en larmes comme ça ne m'était pas arrivé depuis une éternité que j'ai laissé se dérouler le générique de fin, me demandant si ce que j'avais vu était plausible. Hélas, la réponse est oui. Ce que l'absurdité des guerres, le "pouvoir" que les hommes exercent sur les femmes, l'intégrisme, la religion (TOUTES les religions), le racisme, la bêtise peuvent générer comme horreurs est insondable.
Ici la tragédie familiale rejoint le drame d'une nation qui sert de "terrain de jeux" à d'autres peuples belliqueux. Tel le Liban sans aucun doute. Denis Villeneuve creuse le fond du fond de l'horreur et nous fait parcourir en apnée les événements que génèrent les guerres sur les citoyens "ordinaires". Dès les premières minutes on est happé par l'intensité des images et le regard du petit garçon dont on comprendra plus tard qu'il fera partie de ces "enfants soldats" qu'on utilise quand la chair à canon se met à manquer est de la même force que celui de cette afghane hagarde et terrifiée, souvenez-vous. On ne saura que bien plus tard ce que cette scène signifie. Car en plus de nous mettre totalement KO avec un film coup de poing, bouleversant comme rarement, le réalisateur n'en oublie pas de proposer un scenario à la fois complexe et limpide où tout finit par trouver un sens et une explication.
Que de thèmes abordés sur la souffrance, la honte, le chagrin, le pardon ! Que de force et de dignité dans la volonté de trouver et de comprendre ses racines, d'où l'on vient et comment on en vient ! Que de coeur, de sentiments et de violence ! Que de chemin parcouru par cette femme déchirée, constamment malmenée, bafouée, avilie mais debout jusqu'à l'épuisement à la recherche de son enfant perdu ! Quel film, mais quel film que cet "Incendies" porté en tension constante par des acteurs (tous) inspirés, habités ! Mais que serait-il aussi sans la puissance et l'abnégation totales d'une actrice qui disparaît et s'abandonne comme jamais à son personnage ? Lubna Azabal digne, intense, "femme qui chante" souvent silencieuse et d'une sobriété admirable rend inoubliable ce film saisissant, cette histoire et ce personnage qui nous percutent en plein coeur.