DRUNK
de Thomas Vinterberg ***(*)
Avec Mads Mikkelsen, Thomas Bo Larsen, Lars Ranthe
Martin s'ennuie, il semble même au bord du burn-out professionnel et personnel. Mais il est également très ennuyeux. Avec sa femme et ses enfants qui le regardent à peine et ne l'écoutent pas. Avec ses élèves lycéens de terminale qui trouvent, à raison, ses cours d'histoire soporifiques. Même lorsqu'il se rend à l'anniversaire d'un de ses meilleurs amis, il affirme qu'il rentrera tôt..
C'est justement ce soir là que l'un d'entre eux évoque la théorie fumeuse d'un psychologue norvégien qui prétend que l'homme a un déficit d'alcool dans le sang et qu'il serait bon pour son bien-être de maintenir un taux de 0.5 gramme/litre de sang. Ok. Nos quatre amis, à un tournant très mélancolique de leur existence décident de mettre cette théorie en pratique. Ils organisent leur expérience scientifiquement. Ils prendront des notes au cours de l'expérimentation et se conformeront à certaines règles comme ne jamais boire après 20 heures et le week-end.
Il s'agit donc bel et bien de ne boire que pendant les heures de travail, sachant qu'ils sont tous les quatre professeurs (d'histoire, de philo, de sport et... j'ai oublié). Au début, tout est plutôt réjouissant. En atteignant le taux critique de 0.5 gr, les quatre amis voient leurs performances dans tous les domaines augmenter. Leurs cours deviennent passionnants, eux-mêmes ne s'y ennuient plus. Martin parvient même à regagner un peu l'estime de ses enfants et retrouve ses aptitudes sexuelles auprès de sa femme. La vie est belle mais ne peut le rester, ça se saurait et ça serait trop beau.
Je trouve que ce film nous encourage à nous interroger sur notre propre rapport à l'alcool. Alors je m'y colle. Bonjour, je m'appelle Pascale et je suis alcoolique. J'aime le vin, rouge. Les alcools forts ne me plaisent pas : ça pique. Quant aux bulles, ne m'en parlez pas, je trouve ça absolument dégueulasse. Sachant que les femmes qui veulent consommer de l'alcool de façon modérée devraient se limiter à 2 verres par jour et à un maximum de 10 verres par semaine. Les hommes qui veulent boire de façon modérée devraient se limiter à 3 verres par jour et à un maximum de 15 verres par semaine (ben voyons), je culpabilise donc d'être à la lisière de l'alcoolisme. C'est d'autant plus regrettable que je ne connais pas ce moment qui semble délicieux et dont Jean Gabin (aidé par Audiard) parle si bien dans Un singe en hiver (un de mes films cultes pour rappel) : "Dis-toi bien que si quelque chose devait me manquer, ce ne serait plus le vin, ce serait l'ivresse !" J'aime le vin (rouge, et mes préférences vont au Sancerre (rouge) et aux Bourgogne en général) mais je ne crois pas connaître l'ivresse. Jamais dans ma soulographie je n'ai ressenti ceci : "derrière ce mur, là, et ben, j'ai vu, pas cru voir, hein, j'ai vu, une ville, des tramways, là, la foule, des drames !" Et je le regrette car tant qu'à se bousiller la santé autant marquer les foules par des envolées lyriques : "Je ne vous apprendrai rien en vous rappelant que Huang Ho veut dire fleuve jaune et Yang-tsé-Kiang fleuve bleu. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de l'aspect grandiose du mélange. Un fleuve vert ! Vert comme les forêts, comme l'espérance. Matelot Esnault, nous allons repeindre l'Asie, lui donner une couleur tendre. Nous allons installer le printemps dans cette vie ce pays de merde".
Voilà, c'est terrible, je ne connais pas l'ivresse car le verre de trop (qui arrive vite) est catastrophique pour moi. J'ai le vin triste, il me fait pleurer des rivières et toute la sombritude du monde me saute au visage. Les rares "cuites" de ma vie (3 je crois) que j'ai eues ne sont pas un souvenir plaisant.
J'ai donc du mal à comprendre qu'on ait besoin d'alcool pour être bien, s'amuser mais je l'admets. A ce titre, j'ai trouvé la toute première scène du film d'une grande tristesse. Des jeunes gens en terminale courent en portant des caisses de bière qu'ils ingurgitent et ils vomissent pour continuer à boire. Toute la soirée. J'ai craint que le film ne soit qu'une succession d'immenses bitures et ça m'a fait peur. Les gens ivres morts ne m'amusent pas. Ils sont rarement drôles d'ailleurs (sauf Bourvil). Heureusement, il n'en est rien car nos 4 acolytes titubent modérément et ont plutôt le vin gai et productif. C'est donc assez drôle au début, notamment par exemple lorsque Martin, dans son cours d'histoire met en parallèle les comportements de Churchill, Hemingway et Hitler face à l'alcool. C'est assez savoureux. Mais je vous laisse découvrir ce dont chacun est capable avec ses 0.5 gr.
Il y a un petit moment de flottement lorsque tout semble être pour le mieux dans le meilleur des mondes. La "morale" est ambiguë et on ne sait plus trop que penser et ce que le réalisateur cherche à nous faire comprendre : vive l'alcool ou l'alcool c'est le mal ! Je pense qu'il ne le sait pas lui-même, ou ménage-t-il la chèvre et le choux ? L'important est de consommer avec modération non ? Le film redémarre quand les garçons très imbibés décident de mettre fin à l'expérience. Evidemment ils ne sont pas tous égaux face à l'abus d'alcool et à l'accoutumance.
Le film est aussi un hymne à l'amitié virile, les femmes très secondaires ne sont pas gâtées par leurs personnages de mère de famille autoritaire ou adultère mais tant pis. La mélancolie des hommes ici présents est touchante.
Il est évident que Mads Mikkelsen est un alcoolo des plus séduisants et comme toujours impérial et bien barré jusque dans ses douleurs et hésitations et rien que pour la toute dernière scène de danse longtemps différée, le film vaut le voyage. Mais ses trois compagnons de beuverie et leur vie chaotique sont touchants dans leur chute et valent aussi le déplacement. Ils accompagnent chaleureusement la star.
Et comme les réminiscences d'un parfum d'adolescence, pour ne pas être les esclaves martyrisés du Temps, je repense à ces vers... de Baudelaire :
"Il faut être toujours ivre. Tout est là : c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.
Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront : « Il est l'heure de s'enivrer ! Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. »