Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

2 **** INDISPENSABLE - Page 51

  • TYRANNOSAUR de Paddy Considine ****

    Tyrannosaur : photoTyrannosaur : photoTyrannosaur : photo

    Joseph est un homme seul, alcoolique, parfois violent et toujours au bord de l'implosion. Pour seul compagnon il n'a qu'un chien sur qui il passe ses nerfs à vif et qu'il tue malencontreusement. Joseph n'est pas un garçon sympathique et on n'a guère envie de le croiser au coin d'une rue. En outre, son meilleur pote est en train de mourir d'un cancer et la fille du mourant tolère tout juste ses visites faisant de lourds sous-entendus sur les comportement passés de Joseph. Quant à son petit voisin, un gamin triste et solitaire, il est régulièrement terrorisé par le pittbull du petit ami de sa mère...

    Un jour que Joseph cogne son désespoir à tous les murs de la ville (Glasgow, quartiers pauvres), il entre, se réfugie, se cache dans un magasin tenu par une femme très pieuse qui l'accueille sans lui poser de questions et se met à prier pour lui. Hannah est une femme encore jeune mais qui semble fatiguée et d'une extrême tristesse. Le lendemain Joseph revient la voir et se montre partiulièrement odieux avec elle, comme ça, sans raison.  Comme s'il était le seul à porter tout le chagrin du monde.Puis il découvre qu'Hannah n'est pas la femme qu'il imaginait mais que pour elle aussi la vie est un fardeau. Quotidiennement humiliée, battue voire violée par son malade de mari, elle trouve en Joseph, cet homme instable et imprévisible un réconfort totalement inattendu. Lui-même refuse de croire qu'elle puisse se sentir en sécurité avec un homme tel que lui.

    Parfois les acteurs anglais se mettent à la réalisation et cela donne des films aussi forts et dérangeants que War zone de Tim Roth ou Ne pas avaler de Gary Oldman. Des films dont on sort complètement sonnés et qu'on n'oublie jamais. Paddy Considine, acteur lui aussi, propose pour sa première réalisation un drame social d'une rare intensité qui nous met également KO. Même si contrairement à ses deux aînés qui ne donnaient aucune chance à leurs personnages, Paddy Considine laisse entrevoir une toute petite lueur d'espoir. Sans doute a t'il davantage confiance en l'humanité malgré la bestialité de certains de ces personnages dont son héros, jamais bien loin de se servir d'une batte de base-ball. La noirceur sans fond et sans fin de certaines scènes, la violence de certains actes et de certaines paroles cèdent parfois la place à des moments de grâce et de douceur où se mèlent tendresse et compassion. Ainsi cette longue et magnifique scène (muette) d'enterrement où l'hommage au défunt donne à chacun l'occasion de laisser libre court à sa joie, sa tristesse et d'accéder au pardon.

    Sans angélisme malgré la bonté, la sensibilité et la générosité qui émergent de la carapace de ces héros cabossés, sans misérabilisme malgré l'extrême dureté des situations (les scènes d'humiliation d'Hannah sont particulièrement éprouvantes, comme celles qui illustrent la vie du petit garçon...), le réalisateur réussit un film sombre et douloureux en restant digne et en échappant au voyeurisme. On sait que cette batte de base ball ou ce pittbull ne sont pas là pour rien ni par hasard et on ne cesse de craindre le moment où ils entreront en scène. Et ce ne sont pas les moindres "surprises" que réservent l'histoire de ces abandonnés.

    Paddy Considine a de plus la chance, la pertinence et le flair de pouvoir s'appuyer sur deux acteurs immenses qui se sont emparés de leurs personnages avec tendresse et passion. Ce que Peter Mullan et Olivia Colman font ici tient tout simplement du génie. Olivia Colman s'abandonne totalement à son rôle de femme maltraitée, bafouée, généreuse et complexe, en demande d'amour insensée. Elle est bouleversante. Quant à Peter Mullan et son beau visage scuplté de ses chagrins, de ses regrets et de ses remords, il exprime comme rarement un acteur l'a fait toutes les émotions qu'un être humain est capable de ressentir. Son état de sidération silencieuse dans lequel les révélations d'Hannah le plonge est un des moments les plus intenses de ce grand film profond, fort et subtil.

  • NANA de Valérie Massadian ****

    Nana : photoNana : photoNana : photo

    Nana a 4 ans et elle assiste sans broncher avec deux autres enfants à l'abattage d'un cochon dans une ferme. Puis elle accompagne son grand-père dans une promenade à travers champs et forêt. Enfin, elle rentre chez elle avec sa mère dans une maison isolée en pleins bois. Un jour, sans doute après l'école, Nana se retrouve seule dans la maison, plusieurs jours peut-être...

    Ce conte cruel et impressionnant nous propose d'accompagner pendant un peu plus d'une heure une toute petite fille incroyable qui va devoir comme une grande faire face sans faiblir à tout ce qui peut arriver à un enfant si petit laissé seul. Pendant une heure, quasiment en apnée, le spectateur est plus terrifié que l'enfant. Nana s'occupe, prend un livre, détache avec obstination un lapin mort pris dans un collet, rassemble ses jouets sur une nappe, sur un canapé. Elle bougonne, raconte, soupire, s'habille toute seule comme une grande. Même lorsque sa mère est là, elle n'obtient aucune aide pour couper sa viande. On a envie de secouer la mère, une jeune femme perdue, triste, inconsciente. On ne saura rien d'elle que ce mot laissé à son père qui en dit si peu et si long... : "répare le portail. Signé : ta fille". On a envie de prendre Nana dans ses bras et on ne peut qu'assister inquiet à tous les dangers auxquels elle s'expose sans pleurer jamais.

    Etrange et magnifique film qui explore l'enfance d'une bien curieuse façon. La réalisatrice semble nous dire qu'un enfant est un combattant et que rien ne peut lui arriver. Il faut dire que sa fabuleuse interprète Kelyna Lecomte accomplit des miracles en étant seule à l'écran pratiquement tout le temps avec une force et une présence impressionnantes. De très longs et magnifiques plans séquences fixes permettent à Nana de s'exprimer et nous en foutre sacrément plein la vue. On y retrouve "Ponette" pour la dureté des épreuves qu'elle endure, mais aussi la petite Paulette de "Jeux interdits" pour sa façon insouciante d'appréhender la mort à travers celle des animaux. Quand enfin, on voit Nana exploser de rire grâce à un jeu stupide, on se dit que vraiment l'enfance a raison de tout et n'a peur de rien.

  • MILLENIUM : LES HOMMES QUI N'AIMAIENT PAS LES FEMMES de David Fincher ****

    Millenium : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes : photo Daniel Craig, David FincherMillenium : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes : photo David Fincher, Rooney MaraMillenium : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes : photo David Fincher, Rooney MaraMillenium : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes : photo Daniel Craig, David Fincher

    Petit rappel du propos pour ceux qui n'auraient ni lu les pavés de Stieg Larson (c'est mon cas, mais cette fois j'ai envie !) ni vu la précédente version suédoise d'un réalisateur qui n'a pas imprimé la pellicule (pardon à la famille) : Mikael Blomkvist journaliste star de la revue "Millenium" perd un procès en diffamation contre un industriel. Henrik Vanger, grand magnat suédois lui aussi, profite de cet échec et de la mise à l'écart de Mikael et lui propose d'enquêter sur le meurtre de sa jeune nièce Harriet 40 ans plus tôt. Le coupable n'a jamais été retrouvé mais il s'emploie depuis 40 ans à envoyer un cadeau très personnalisé au vieil homme convaincu que c'est un membre de son abominable famille qui en est responsable. Mikael accepte et se voit imposer la présence comme co-enquêtrice de Lisbeth Salander, hackeuse informaticienne exceptionnelle mais jeune femme étrange, solitaire au passé et aux comportements troubles et troublants. La complémentarité des deux va faire des miracles et mener rapidement sur la piste d'un serial killer d'une cruauté sans nom et à percer les secrets pas reluisants d'une famille détestable.

    Difficile d'éviter la comparaison avec la précédente adaptation qui n'est vraiment pas à l'avantage de la version suédoise même si sa médiocrité donnait néanmoins l'envie irrépressible d'en savoir plus et surtout de connaître le sort de Lisbeth Salander. Difficile aussi d'éviter les superlatifs tant cet opus "fincherien" place haut ce thriller horrifique dans la catégorie des grands épisodes du genre. Et pourtant, s'il n'y avait la présence de Daniel Craig (parfait, plus que parfait, j'y reviendrai) je ne me serais sans doute pas précipitée pour voir un film dont je connais déjà parfaitement le dénouement. Malgré cela, le réalisateur triomphe de cette histoire connue par sa façon unique, judicieuse et efficace de démêler l'écheveau qui trace la piste du criminel. Il nous plonge au coeur de l'enquête, minitieusement décryptée par ses deux limiers de choc, un peu comme dans son inoubliable "Se7en", modèle inégalé du genre. Alors qu'est-ce qui fait la différence avec la tentative suédoise ? Fincher approfondit tout, ne laisse rien en suspens et décortique l'intrigue et les personnages en les rognant jusqu'à la substantifique moëlle ! Evidemment, il se concentre plus intensément sur Lisbeth et Mikael dont la personnalité et le charisme font merveille mais aussi sur leur relation plus plausible voire attendrissante ici. Si Noomi Rapace était absolument seule à soutenir sur ses frêles épaules éprouvées le personnage monstrueux de Lisbeth et le film tout entier, ils sont deux ici et les personnages secondaires ne sont pas pour autant négligés. Bien sûr la famille offre à voir une belle collection de pourris certes assez monolythiques mais en une seule réplique le réalisateur règle son compte à la prétendue neutralité suédoise lors de la seconde guerre mondiale grâce au personnage du vieux Vanger qui croupit dans ses souvenirs nazis. Tous les membres de cette famille désunie qui continue néanmoins de vivre sur le même îlot, loin des regards du monde s'observent les uns les autres, ne se parlent plus depuis de nombreuses années. Tous cachent des secrets qu'ils éludent et sont plutôt enclins à accabler les autres. Il faut dire qu'ils n'ont jamais rien fait d'autre que vivre bercés par la haine, la barbarie, les scandales...

    Au milieu de ce panier de crabes nauséabond s'installent donc Lisbeth et Mikaël à qui l'on met à disposition une petite maison sur l'île pour les besoins de l'enquête. Ils sont au centre de l'histoire, au coeur du film et on se désintéresse presque de l'enquête pour les suivre eux, pas à pas ! Ils lui donnent son âme. La première apparition de Daniel Craig en Mikael Blomkvist est rassurante et formidable. On oublie immédiatement James Bond. Séduisant, élégant, déterminé, il est ce journaliste opiniâtre, intellectuel mais le côté sportif inébranlable rompu à toutes les situations est gommé. C'est d'ailleurs la frêle Lisbeth qui le sauvera d'une bien fâcheuse posture. La fragilité nouvelle de Daniel Craig qui résiste (très peu) à Lisbeth en lui disant "je suis trop vieux pour toi" est touchante et absolument crédible. C'est lui qui aura un haut le coeur devant le cadavre d'un chat, pas elle. C'est lui qu'elle recoudra avec du fil dentaire lorsqu'il sera blessé... L'humour de leur improbable couple pourtant évident (oui je sais c'est contradictoire !) fait mouche à plusieurs reprises.

    Le film, d'une efficacité remarquable est donc encore enrichi par l'interprétation subtile et magistrale de Daniel Craig et Rooney Mara.
    Venons en à Rooney Mara. On l'a échappé belle, je viens juste de lire que Léa Seydoux a passé des essais... Le cas Lisbeth Salander donc, héroïne invraisemblable au look agressif et pourtant qu'on a envie d'aimer, de protéger, de sauver. On s'y attache. Noomi Rapace était déjà responsable du seul intérêt, pardon d'y revenir encore, du film suédois. Elle était fabuleuse, extraordinaire, inoubliable. Tant et si bien qu'imaginer une autre actrice pour l'interpréter relevait pour moi de la haute trahison. Evidemment, avoir échappé à Léa Seydoux est rassurant. Mais il se trouve que Rooney Mara s'empare du personnage de Lisbeth et nous la rend indispensable. On s'attache très fort à cette fille à l'enfance et à la vie totalement brisées. Sa démarche rapide et un peu voûtée, sa façon de longer les murs tête baissée pour tenter de passer inaperçue, son regard fuyant, méfiant, inquiet... tout dans ses attitudes contraste avec son look voyant, provoc' et agressif. C'est comme si elle cherchait à disparaître tout en étant très voyante. La noirceur de ses cheveux, ses sourcils blonds, ses piercings, ses multiples tatouages, ses coiffures, son apparence très travaillée ajoutent encore à l'étrangeté du personnage. Et son travestissement vers la fin de l'épisode révèle une fille d'une beauté et d'une élégance époustouflantes. Cette Lisbeth au passé catastrophique et perturbant n'en finit pas d'endurer des épisodes traumatisants. Les scènes avec son nouveau tuteur (elle est pupille de la nation déclarée irresponsable et placée sous tutelle) sont d'une rage et d'une cruauté comme on n'en voit peu. Elle aurait pu développer une haine farouche et tenace de l'humanité mais elle est encore capable d'éprouver des sentiments envers son ancien tuteur hélas victime d'un AVC et il semble évident que son attirance pour Mikael se transforme en un attachement qui la surprend elle-même. Mais cette nunuche de Mikael paraît aveugle malgré ses lunettes d'intello... Et la dernière scène est un crève-coeur !

    Lisbeth Salander est irrésistible, Rooney Mara est exceptionnelle.

  • LE HAVRE de Aki Kaurismäki ****

    Le Havre : photo Aki KaurismäkiLe Havre : photo Aki KaurismäkiLe Havre : photo Aki KaurismäkiLe Havre : photo Aki Kaurismäki, André Wilms, Jean-Pierre Darroussin

    Au Havre Marcel Marx mène une vie pépère auprès de sa femme Arletty qui le couve comme un enfant. Il est cireur de chaussures, ce qui n'est pas simple à une époque où tout le monde porte des baskets. Les rares euros qu'il gagne quotidiennement lui permettent de siroter quelques verres de blanc au bistrot en fumant des clopes avec les copains avant de rejoindre sa chérie qui lui sert son repas comme un Prince et de s'endormir comme un Pacha pendant qu'elle lui repasse ses vêtements pour le lendemain. Il n'est peut-être pas aberrant de supposer que Marcel est heureux malgré cette précarité qui le force entre autre à contracter moult dettes chez la boulangère et l'épicier du coin.

    La vie de Marcel bascule le jour où Arletty tombe gravement malade et se fait hospitaliser pour une longue période. Le même jour, il croise la route d'Idrissa jeune gabonais qui a fait le voyage dans un cargot au fond d'un container oublié sur le quai. Pendant qu'Arletty suit son très lourd traitement et somme le médecin de ne rien révéler de la gravité de son état à Marcel, ce dernier recueille le gamin qui a échappé à la police et lui promet de l'aider à rejoindre sa mère à Londres.

    Voilà un conte de Noël généreux et bienfaisant à des années-lumière de cette ânerie sirupeuse et faux derche. Dans un envirronnement âpre et terne (Le Havre semble être une ville blâfarde et grise) Kaurismäki offre un film pur et doux aux images belles tout simplement belles. Les drôles de paroissiens qui peuplent son histoire ont des trognes qu'on ne rencontre pas souvent au cinéma. Mais cette humanité cabossée va rassembler toute son énergie, sa noblesse de coeur évidente, sa générosité infaillible pour secourir un petit garçon, un migrant, un indésirable de ce côté ci de l'Europe. Une goutte d'eau dans l'océan, un grain de sable dans le désert mais "Celui qui sauve une vie sauve le monde" (parole du Coran et proverbe juif...), Marcel et ses amis vont donc agir avec leurs moyens pour sauver le monde. Mentir à la police, organiser un concert pour récolter des fonds parce que c'est à la mode, se mettre en danger sans rien attendre en retour. Et c'est beau, ça réchauffe le coeur même si l'on a vraiment plus que jamais la sensation d'assister à un conte utopique. L'espace d'un instant on y croit à cette fraternité, ce sens des autres, ce désintéressement. Est-ce que ce sont les plus pauvres, les plus démunis qui peuvent encore venir au secours de plus misérables qu'eux ?

    La révolte et l'indignation de Kaurismäki s'expriment en douceur sans démonstration grandiloquente. Néanmoins quelques images choquantes qu'on imagine même pas, dont l'ouverture du container "oublié" depuis des jours sur le quai avec plusieurs familles hagardes et quelques extraits de "vrais" reportages sur la "zone" où se sont réfugiés les migrants après la fermeture du centre de Sangatte font froid dans le dos. Mais le réalisateur s'attarde surtout avec sa délicatesse et sa poésie sur l'humanité poignante qui habite son film. Il est aidé en cela par des acteurs qui adoptent un rythme et un phrasé qui font rêver tant le langage employé ici est soigné. La légendaire nonchalance de Jean-Pierre Darroussin convient parfaitement à cet univers. Au volant de sa Renault 16 flambant neuve et sanglé dans un pardessus il a vraiment des allures d'Inspecteur Gadget. Quant à André Wilms, je l'aime d'amour depuis que j'ai entendu cette semaine une émission sur France Inter qui lui était consacrée. Interviewé pendant trois quart d'heure passionnantes par Pascale Clark il s'est montré d'une intelligence, d'une drôlerie, d'une finesse, d'une lucidité folles. Sa grande carcasse fatiguée, sa voix et sa diction d'un autre temps imprègnent totalement ce film bienveillant, tendre, naïf et généreux.

  • LOUISE WIMMER de Cyril Mennegun ****

    Louise Wimmer : photo Corinne Masiero, Cyril MennegunLouise Wimmer : photo Cyril MennegunLouise Wimmer : photo Corinne Masiero, Cyril Mennegun

    Louise approche de la cinquantaine, elle a un boulot, quelques potes, une fille et malgré une apparence de vie ordinaire, elle a amorcé une dégringolade qui ne prendra fin que si elle trouve un logement. Depuis 6 mois, elle dort dans sa voiture et ses nombreuses convocations auprès des services sociaux, ne lui permettent d'obtenir que cette réponse douteuse "il y a des cas plus urgents que le vôtre", quand elle ne se voit pas opposer un cinglant "soyez moins arrogante !" Là, exceptionnellement, Louise s'autorise à craquer un peu "je ne suis pas arrogante, je n'en peux plus". Il faut dire que cette grande gigue n'a rien de la petite Cosette tremblante qu'on a envie de protéger et qu'elle met un point d'honneur, comme un dernier rempart à sa chute définitive, à ne demander l'aide de quiconque. Personne ne sait qu'elle est sans logement, sans abri, SDF, ni sa collègue, ni son patron, ses rares copains, la patronne du bistrot qui lui fait crédit, sa fille et l'homme qu'elle retrouve parfois juste pour faire l'amour et qu'elle somme de ne pas parler sous peine de tout gâcher. Louise ne parle pas, ne veut pas parler, elle aime danser et elle agit, et si elle pleure c'est seule, réfugiée dans sa grande voiture, dernière possession qu'elle ne peut perdre sous peine de sombrer irrémédiablement.

    C'est dire si on tremble pour Louise qui doit des sommes indécentes pour quelqu'un qui n'a plus rien que "quelques fringues qui se battent en duel" à l'huissier qui les réclame sans émotion, tout comme on craint le pire et on s'affolle lorsque sa voiture tombe en panne alors que son patron ne tolère pas une minute de retard, ou lorsque deux types qui n'ont pas vu qu'elle dormait à l'intérieur s'appuient sur la voiture. Et bien qu'elle ne soit pas d'emblée aimable de par son attitude revêche et son abord peu engageant, en suivant cette fille fière, sauvage, on la découvre, on fait sa connaissance et on se met à l'aimer et à vouloir qu'elle s'en sorte coûte que coûte.

    Venu du documentaire, le réalisateur propose donc pour ce premier film totalement réussi et abouti un cinéma ancré dans le social. Même s'il ne les revendique pas, lors du débat qui suivait la projection (un des plus enthousiasmant, détendu et drôle que j'ai vécu) il évoque néanmoins Mike Leigh et Ken Loach. Il ne s'embarrasse d'aucune fioriture, ni de barratin inutile, les images suffisent, parlent et racontent tout le poids de la détresse qui accable Louise qui pourtant ne courbe pas l'échine ni ne baisse les yeux. C'est aussi dans les détails que Cyril Mennegun frappe juste. Comment rester digne, rester propre, manger à sa faim quand on n'a rien que quelques euros à la fois ? Toutes ces "petites choses" qui paraissent évidentes quand on a la possibilité de les accomplir. Et sa Louise déborde d'imagination pour réussir à se laver, à faire un repas ou se procurer quelques litres d'essence.

    A une époque où chacun redoute de tout perdre et où le spectre de la pauvreté plane, il est facile d'entrer en empathie avec Louise voire de s'identifier à ce personnage. Comment ferions-nous, comment réagirions-nous si cela nous arrivait ? Comment une HLM perchée au 15ème étage d'une tour de béton peut devenir le rêve ultime de renaissance et permettre à une femme de lever un visage radieux vers le haut ? Cyril Mennegun le dit "ce qui persiste de beau dans ces quartiers, ce sont les personnes qui y vivent". On le sent sincère et concerné lorsqu'il le dit.

    Ce film ne sort que le 4 janvier (un grand jour !!!) mais je tenais à vous en parler déjà même si je le referai à ce moment là, et il sera un des grands chocs de 2012. Un réalisateur est né. Mais aussi, gloire à lui, il nous donne l'occasion de découvrir une actrice (sans doute connue des téléphiles) hors du commun qu'il filme avec amour. En tous points atypique Corinne Masiero est libre, libertaire, communiste, folle, une tornade d'un mètre 80 qui n'a peur de rien, qui peut être la plus ordinaire des femmes et la plus lumineuse des créatures. Une révélation comme il en arrive une ou deux fois par an, un corps, un visage, une voix. Nul doute qu'on va la revoir souvent, ou c'est à n'y rien comprendre !

  • SHAME de Steve McQueen ****

     Shame : photo Michael Fassbender, Steve McQueen (II)Shame : photo Carey Mulligan, Michael Fassbender, Steve McQueen (II)Shame : photo Michael Fassbender, Steve McQueen (II)

    A première vue Brandon, trentenaire Bo-Bo new-yorkais semble atteint d'une addiction particulière : le sexe. Il ne peut regarder une femme sans l'envisager dans son lit. Et pourtant lorsqu'il sort le soir avec ses amis, il a honte de leur façon lourdaude de draguer. Il est plutôt du genre à ouvrir la porte et s'effacer devant les dames. Il semblerait finalement qu'il ne peut véritablement avoir de rapports que s'ils sont tarifés ou s'il a la certitude que la rencontre sera sans lendemain. Contrairement à certain(s), il parvient néanmoins à tempérer ses pulsions lubriques et envahissantes. Non seulement il se rend régulièrement aux toilettes pour se soulager/contenter seul mais en plus il ne se jette pas sur tout ce qui remue et n'a de relations qu'avec des filles consentantes. Lorsque l'ordinateur qu'il utilise au travail est envoyé en réparation suite à un virus, il flippe un peu Brandon. On saura vite pourquoi et il y a de quoi. Et puis sa soeur débarque et Brandon n'est pas ravi. Il faut dire qu'elle a pas mal de problèmes Sissy et tous les traumas familiaux semblent refaire surface...

    Finalement, on découvre que Brandon ne va pas bien du tout. Il est malade, très, et ça en devient déchirant.

    Dans une ambiance froide et grise, au son d'une musique exceptionnelle où l'angoisse s'insinue peu à peu Steve Mc Queen démontre que la chair est triste et il creuse jusqu'à l'os la douleur de Brandon. MON Michael Fassbender n'y va pas de main morte sous la douche pour exprimer les tourments et la détresse de son personnage. Ses accès de violence et son visage brusquement inquiet le rendent parfois menaçant, pour les autres comme pour lui.  Au-delà de la pudeur, Michaël Fassbender ne s'économise pas et, je suis d'accord, parfois le cinéma c'est vraiment faire faire de vilaines choses à de très jolis garçons...

    Si l'acteur et le réalisateur m'avaient déjà convaincue, je peux affirmer qu'avec ce film difficile, dérangeant mais solide et envoûtant deux stars sont nées. shame de steve mcqueen,michael fassbender,carey mulligan,cinéma

  • TOUS AU LARZAC de Christian Rouaud ****

    Tous au Larzac : photo

    Tous au Larzac : photo

    En 1971, il y avait un camp militaire sur le plateau du Larzac et autour quelques communes et des paysans qui exploitent leurs terres et élèvent leurs brebis. Cette année là, le ministre de la Défense Michel Debré souhaite étendre le camp militaire et exproprier les paysans qui gênent. Ils ne se laisseront pas faire et au terme d'une lutte non-violente de dix années parfois exténuante, d'autres fois réjouissante, ils obtiendront gain de cause grâce à l'élection de François Mitterrand en 1981.

    "Je voudrais que cette histoire, on puisse s’en nourrir pour regarder notre monde, ici et maintenant." dit le réalisateur qui réussit un film exaltant et stimulant. Les "Indignés" des années 70 vivaient au sud du Massif Central et sont à l'origine du mouvement alter-mondialiste. Gloire à eux ! Et aujourd'hui encore, les sexagénaires voire davantage encore bien vaillants de l'époque continuent la lutte en s'opposant aux OGM et aux gaz de schiste dangereux pour l'environnement. Leur énergie, leur volonté et leur vitalité sont intactes. Quelle chance ils ont !

    Il faut les voir ces paysans "pur porc" comme dit l'un d'eux, évoluer et faire de la survie de leur région une action commune de résistance et être aujourd'hui encore, tournés vers l'avenir. Ces 103 paysans c'est David contre Goliath mais jamais aucun d'eux ne se laisse aller à la nostalgie même si l'évocation de toute la mobilisation qu'ils ont provoquée à l'époque les émeut encore. C'est incroyable ce qu'ils ont déployé comme courage et comme imagination, simplement armés de leur détermination. Ils sont montés à Millaud en tracteur puis à Rodez, ils ont entrepris une marche de 710 kilomètres à pieds pour venir camper sur le Champ de Mars (1er camp militaire français) pendant que la machine judiciaire et d'Etat continuaient leur progression et qu'ils étaient de plus en plus acculés à l'expropriation. Ils ont construit pierre par pierre une bergerie "hors la loi", volé des documents militaires, été emprisonnés pour certains, ils ont perdu leurs droits civiques. Ils ont été menacés, frappés par une bombe inconnue et l'enquête aboutira à un non lieu... Ils n'ont jamais lâché. Et ils s'étonnent de constater que Paris et la France entière se sont mobilisés avec eux pour que le Larzac demeure une terre de culture et d'élevage.

    Réussir un film à suspens auquel on reste accroché pendant deux heures est une performance quand on évoque le thème du film. Mais dès la première intervention, on est suspendu aux lèvres du premier interlocuteur qui résume non sans humour : "j'ai appris à lire, à écrire, un peu à compter. J'avais tout du paysan moyen, je votais à droite, j'allais à la messe...", et puis la décision de Michel Debré change la donne. Immédiatement les propros, l'élocution, la maîtrise et le sens de la narration du paysan rend complètement accro aux événements. On se dit que le réalisateur a trouvé "le bon client" qui sait "parler dans le poste". Et non, tous les intervenants sans aucune exception font preuve d'une intelligence incroyable et leurs reparties devraient faire rêver plus d'un scénariste. Et ces gens qui se pensaient égoïstes et repliés sur eux-mêmes vont développer un sens de la lutte, de la solidarité et de la fraternité qui laisse songeur et qui dure encore à ce jour. 40 ans plus tard, ce qu'ils ont vécu les a rendus unis et solidaires à tout jamais. De leur individualisme forcené est né dans la lutte un sens de la résistance et de la fraternité tellement réjouissant qu'on a envie de les rencontrer tous.

    Leur non violence, leur respect des autres et des "pionniers" comme ils les appellent (ceux qui sont venus s'installer là) alors qu'ils sont les "autochtones" et qu'ils ont accueillis sans réserve, leur humanité, leur volonté infatigable, leur enthousiasme, leur optimisme forcent vraiment le respect et l'admiration.

    Précipitez-vous pour voir ce grand film fort, dans une nature superbe avec des gens remarquables et impressionnants !

  • L'ORDRE ET LA MORALE de Mathieu Kassovitz ****

    L'Ordre et la morale : photo Mathieu Kassovitz

    L'Ordre et la morale : photo Mathieu KassovitzL'Ordre et la morale : photo Mathieu Kassovitz

    Réveillé en pleine nuit par son supérieur, Philippe Legorgus capitaine du GIGN doit se rendre avec 50 hommes en Nouvelle Calédonie. Le but de leur mission ne leur est révélé que dans l'avion. 30 heures plus tard, ils atterrissent dans la petite île d'Ouvéa où 3 gendarmes ont été tués et 30 autres retenus en otage par le FLNKS (groupe d'indépendantistes kanak). Philippe doit servir de médiateur et approcher Alphonse Dianou responsable de la prise d'otages. Sur place les gendarmes découvrent que 300 militaires sont déjà sur l'île qui semble en état de siège. Sa mission va totalement lui échapper et aboutir à un carnage dont on va peu à peu découvrir l'origine.

    Cette histoire est vraie, elle date de 1988 et Mathieu Kassovitz, aidé par le récit de Philippe Legorjus qui y était mais qui a démissionné et n'en dort toujours pas toutes les nuits fait un vrai beau grand film de cinéma avec une histoire incroyable et révoltante.

    Comme disait Kasso dans "La Haine" : "C'est l'histoire d'un mec qui tombe d'un immeuble de 50 étages et qui se dit à chaque étage, jusqu'ici tout va bien, jusqu'ici tout va bien..." Philippe Legorjus ne va cesser de dégringoler de surprise en stupéfaction mais animé du sens du devoir et du respect de l'ordre donné va aussi en chemin y perdre un peu de sa morale. Bien sûr on pourra objecter que les militaires sont quelque peu présentés comme des crétins toujours prêts à en découdre. Mais bon, on ne va pas s'étonner de constater que des hommes qui se sont engagés pour faire la guerre soient un tantinet belliqueux ? Il y a quelques gentils blancs venus résoudre des problèmes à 25 000 kilomètres de la métropole et qui entrent immédiatement en empathie avec la population locale et les rebelles, des méchants blancs racistes qui n'ont pas l'intention de se laisser emmerder et veulent venger leurs collègues, des gentils noirs qui subissent ou se révoltent avec légitimité contre les lois Pons (courageux Daniel Martin qui interprète le ministre) qui veulent anéantir leurs coutumes et traditions, et le FLNKS qui laisse bel et bien tomber les fauteurs de troubles. Menés par Alphonse Dianou, un intellectuel, les preneurs d'otages ne sont pas de grands héros ni même des terroristes mais des hommes ordinaires, des "papas" dépassés par leur propre lutte et dont les responsables des 3 morts sont prêts à se rendre aux autorités pour être jugés. Mais le sort de tous ces hommes se joue à des milliers de kilomètres de là. A quelques jours de la nouvelle élection présidentielle en pleine cohabitation Mitterrand/Chirac, les revendications kanaks se retrouvent donc en plein milieu d'un enjeu politique. En France, la poignée d'hommes qui en a pris d'autres en otages est présentée comme une organisation terroriste. Et il n'y avait déjà rien à l'époque qui faisait plus peur à un français "héxagonal" qu'un terroriste à l'autre bout du monde. Quelle victoire ce serait pour le tout prochain Président d'être celui qui résout la crise ! Lors d'une scène tout à fait édifiante Kassovitz diffuse le face à face télévisuel Mitterrand contre Chirac où les quelques bonnes intentions de l'un sont anéanties par les certitudes de l'autre et se terminent dans une cacophonie, une confusion totales. Un brouhaha de blablas et Philippe Legorjus comprend soudain que l'imminence de l'assaut contre la grotte où se trouvent rebelles et otages était prévu avant même son arrivée sur place. Malgré toutes ses tentatives de médiation, poussé à la trahison, il ne va pouvoir tenter que limiter les dégâts. Mais pour les politiques, les vies humaines de quelque côté qu'elles se trouvent ne sont QUE des dégâts collatéraux inévitables. Oui, on a la haine en découvrant une fois encore comment le sort des uns et des autres se décident et à quel point la vie d'un homme est sans valeur face à l'ivresse du pouvoir !

    Et là, vous vous dites : quel film saoûlant ! Et non, c'est tout le contraire. Mathieu Kassovitz réussit de bout en bout un film pas seulement engagé mais aussi passionnant. Même en connaissant la fin et puisque de toute façon il le réalise en flash-backs, il parvient à insuffler un rythme et un suspens haletants. Dès les premières scènes, on entre dans une machine de guerre à l'américaine, dans le sens le plus cinématographique du terme : de l'action, du nerf, de l'énergie. Et le réalisateur se fait plaisir en réalisant quelques scènes qui font de ce film son "Apocalypse now"... le capitaine Philippe allongé sur son lit fixe le plafond, les mains derrière la tête en regardant tourner les pales d'un ventilateur, on entend le bruit des hélicos et presque "This is the end" des Doors ; on croirait plus tard que les hommes du capitaine vont se mettre à faire du surf sur la mer et que va retentir "La chevauchée des Walkyries" alors que le lieutenant-colonel Bill Kilgore assure qu'il aime l'odeur du napalm le matin au petit déj... Kassovitz imprime néanmoins sa patte et livre quelques petites leçons de mise en scène abouties et saisissantes. Lorsque l'un des otages libéré (un gendarme calédonien qui passe pour un traitre) explique au capitaine Philippe la façon dont l'attaque s'est déroulée, ils sont sur les lieux mêmes de la prise d'otages, au beau milieu de la panique (vous comprendrez mieux en voyant). Mais si ce film ne méritait d'être vu que pour une scène ce serait pour celle, absolument remarquable de l'assaut final. Le spectateur se retrouve en pleine jungle à ras de terre avec les gendarmes qui attaquent ; ils ne voient pas à plus d'un mètre devant eux tant la végétation est dense, ils sont pris entre le feu des rebelles et celui des militaires et le spectateur désarmé est en apnée.

    Un grand film puissant, maîtrisé et assez écoeurant sur ce qu'il révèle, donc forcément indispensable et celui qui n'est pas d'accord peut aller se faire voir ailleurs.

  • LES NEIGES DU KILIMANDJARO de Robert Guédiguian ****

     

    Les Neiges du Kilimandjaro : photo Robert GuédiguianLes Neiges du Kilimandjaro : photo Robert Guédiguian

    Guédiguian revient à ses premières amours et c'est ainsi que je l'aime. Lorsqu'il parle de presque rien mais de tout en fait. De la vie qui va, des petits soucis quotidiens et des grands malheurs qui surprennent en plein bonheur. Il s'entoure sans la changer de son équipe qui gagne : Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan mais ajoute à ce trio des nouveaux venus qui trouvent leur place : la fabuleuse Marilyne Canto mais aussi des petits jeunes, Grégoire Leprince-Ringuet, Anaïs Demoustier, Robinson Stévenin, Adrien Jolivet et le craquantissime Pierre Niney, adorable et très particulier serveur de café comme on aimerait en rencontrer dans la vraie vie...

    Ancrée dans la réalité brutale cette nouvelle chronique marseillaise nous met en présence de Michel super héros ordinaire adorateur de Jaurès et des "comics". Il perd son travail à quelques années de la retraite. Sa vie et celle de ses proches en est bouleversée mais pas tant que ça finalement. Et puis, le réalisateur bifurque brutalement pour transformer son récit en fait divers sordide qui abîme et cabosse bien davantage que cette perte d'emploi. Il revient finalement à ce qui constitue souvent ses personnages : l'engagement politique, l'honnêteté, la loyauté, l'amitié et tout ce qui peut être remis en cause au cours d'une vie.

    Alors, évidemment il y a de bons sentiments, mais pas seulement. Tout le monde n'est pas si bon sous le soleil de Marseille. Et quand bien même. J'aime ces personnages souvent lumineux, qui vacillent parfois mais qui gardent cette espèce de pureté, cette simplicité, cette naïveté même, loin du cynisme ambiant et qui restent fidèles à leurs idéaux. Cela ressemble à quelque chose comme l'utopie ou le rêve. En tout cas c'est bon, sincère, généreux, merveilleusement bien interprété.

    Et si vous y arrivez, tenez donc votre mouchoir au sec tiens !

  • LES GEANTS de Bouli Lanners ****

    LES GEANTS de Bouli Lanners, cinéma,Zacharie Chasseriaud, Martin Nissen, Paul Bartel (II),LES GEANTS de Bouli Lanners, cinéma,Zacharie Chasseriaud, Martin Nissen, Paul Bartel (II),LES GEANTS de Bouli Lanners, cinéma,Zacharie Chasseriaud, Martin Nissen, Paul Bartel (II),

    Zak 13 ans 3/4 et Seth 15 ans tout juste passent l'été seuls dans la maison de campagne de papy qui est mort l'an dernier pendant que papa et maman travaillent au loin ! Il faut admettre d'emblée cet étrange postulat de départ pour entrer, voire plonger dans ce film qui se révèle à la fois conte horrifique et voyage initiatique presqu'immobile vers l'âge adulte. Les deux garçons s'ennuient ferme et la découverte d'une arme et des munitions qui vont avec, laissent augurer du pire. Mais rien ici ne se passe comme on pourrait l'attendre. Zak et Seth sont bientôt rejoints par Danny, ado tout aussi délaissé qu'eux qui présente la particularité d'être régulièrement battu comme plâtre par son crétin de frère, un toxico psychopathe halluciné. On ose à peine appeler ces trois anges des "enfants" tant ce qu'ils vont vivre pendant cet été de transition est constamment à la limite de virer au cauchemar. Avec toute l'innocence et l'inconscience de ce qu'il leur reste d'enfance justement, ils vont néanmoins avancer, glisser vers un avenir incertain.

    Zak, Seth et Danny sont comme trois petits poucets délaissés, rejetés et oubliés en pleine forêt. A l'instar de ces enfants en danger dans les contes, les trois amis soudés, astucieux traversent les épreuves et ne se laissent pas démonter par l'adversité. C'est grâce à la légèreté que leur jeune âge leur permet encore, qu'ils vont surmonter les épreuves et réussir à dépasser quelques moments de fatigue et de découragement. Désespérer entre autre de l'humanité est le moins qu'ils puissent d'ailleurs ressentir. Dans une nature peuplée de rares autochtones qui m'obligent une nouvelle fois à faire référence au "Délivrance" de John Boorman, la splendeur de l'environnement sera à nouveau l'antithèse exacte de l'abomination humaine. Dans le monde de Bouli Lanners seuls sont beaux, purs et aimables, les enfants et la nature. Tous les adultes rencontrés ici sont des monstres de laideur, de bêtise et de méchanceté. De vrais crétins, des animaux abjects exclusivement préoccupés par la seule satisfaction de leurs plus bas instincts.  Une sorte de fée (Marthe Keller tout en douceur) vivant cachée derrière de hautes haies offrira aux égarés à deux reprises refuge dans tous les sens du terme.

    Malgré tout, on peut rire franchement à plusieurs reprises car ces gamins parfois tristes, effrayés, découragés font preuve de la puérilité et de l'imagination tellement évidentes à leur âge. C'est ainsi qu'on pourra avec eux contrarier l'adversité et hurler des gros mots de plus en plus fort une nuit autour d'un feu de camp, manger une pizza à l'harissa dans l'espoir d'effets voluptueux, se teindre les cheveux, courir avec des talons...

    A des années lumière du cinéma épileptique tonitruant qui balance des images saccadées sur des musiques assommantes, Bouli Lanners choisit de poser sa caméra caressante dans des paysages renversants de beauté et de filmer en scope l'épopée de trois gamins attachants comme rarement. A l'opposé exact de ce genre de lardon, les trois enfants ici, Zacharie Chasseriaud, Martin Nissen et Paul Bartel (II) en plus d'être très beaux sont des acteurs époustouflants.

    Et au milieu de ce film coule une rivière...

    les geants de bouli lanners,cinéma,zacharie chasseriaud,martin nissen,paul bartel (ii)