Le marshal Teddy Daniels débarque avec son nouveau coéquipier Chuck Aule sur Shutter Island qui abrite un hôpital psychiatrique pour dangereux criminels. Ils sont chargés d'enquêter sur la disparition d'une patiente, Rachel Solando enfermée pour avoir tué ses trois enfants, ce qu'elle nie. Quelques mots et des chiffres griffonnés sur un bout de papier sont les seuls indices qu'ils retrouvent dans sa chambre/cellule qui était verrouillée lorsqu'elle s'est échappée... Contraints de rester sur l'île car une violente tempête empêche tout bateau de les ramener sur le continent, Teddy va plonger au coeur d'une enquête qui va réveiller en lui un passé douloureux.
Comment parler d'un film dont j'ai absolument tout aimé, sans l'abîmer, le trahir, n'en rien révéler, ne pas en dire trop mais suffisamment pour me libérer un peu de son emprise envahissante, exigeante ? Car oui, ce film est un film qui hante, envoûte, ensorcelle. C'est au-delà de la leçon de cinéma, bien plus et bien autre chose que cela. Il est un peu comme il arrive parfois, la justification ou l'illustration même qui fait que ma passion pour cet art qui fascine, trouble et protège ne faiblira pas.
Dès la scène d'ouverture, il est impossible de ne pas être pris du même mal de mer que Teddy qui supporte difficilement la traversée mouvementée en raison de la tempête qui se prépare. En tentant de se raisonner lui-même "ce n'est que de l'eau... beaucoup d'eau", on comprend queTeddy est un homme fort, pour qui se maîtriser est essentiel. Mais on comprendra encore bien mieux plus tard pourquoi l'eau l'effraie tant. Au début Teddy affiche une belle assurance, ainsi qu'une certaine prestance vestimentaire, exceptée une hideuse cravate (seule note "légère" de cette histoire) curieusement barriolée qui dépare un peu avec l'austérité et la fonction du bonhomme.
L'arrivée sur l'île ne laisse pas l'ombre d'un doute : rien ne sera simple sur cette île. L'accueil tendu des gardiens armes aux poings, celui distant du directeur, la découverte de patients enchaînés qui se promènent, puis celle des bâtiments austères et imposants, tout sur l'île semble hostile. L'un des bâtiments est réservé aux femmes, un autre aux hommes, un troisième, juché sur une colline, le bâtiment C (un ancien fort de la guerre de sécession) auquel on ne peut avoir accès qu'avec une autorisation spéciale, aux malades particulièrement dangereux, et au loin un phare ! Le tout baigné d'une lumière grise, brune, verdâtre.
Le marshal et son coéquipier vont rencontrer les dirigeants de l'établissement dont un mystérieux docteur allemand (Max Von Sidow), les soignants dont l'énigmatique psychiatre chef (Ben Kingsley calme et glaçant), les gardiens mais aussi certains patients suffisamment lucides pour être interrogés. Et cette affaire étrange de disparition inexplicable va faire ressurgir chez Teddy les souvenirs les plus traumatisants de son passé. Ancien GI (nous sommes en 54), il a participé à la libération du camp de Dachau en 1945. Les barbelés électrifiés tout autour de l'hôpital lui évoquent ceux des camps, la présence du docteur allemand le mène à la piste d'expérimentations médicales sur des êtres humains comme les pratiquaient les nazis. Des images insoutenables vont revenir lui marteler la tête de migraines insupportables.
Le souvenir de sa femme tant aimée, morte dans un incendie, qui l'obsède et dévore ses nuits de cauchemars va encore ajouter au tumulte qui vrille son crâne et à celui qui s'abat au dehors sous forme d'incessantes trombes d'eau. Car la tempête se joue autant dans les esprits qu'au travers des éléments déchaînés.
Je n'en dirai pas davantage car le Maître Scorsese nous embarque, nous manoeuvre et nous remue jusqu'à plus soif, nous inondant d'un flot incessant d'informations, d'événements et de rebondissements jusqu'à la dernière seconde de la dernière réplique.
Alors laissez-vous gagner, emporter aussi. C'est tout le mal que je vous souhaite, car ce film est un torrent qui à la fois dévaste et comble l'appétit cinéphile. C'est de la maestria à l'état pur. On en rêve, Scorsese le fait. Ce film est une merveille incontestable et si je ne devais en retenir qu'une scène, je parlerai de celle incomparable où la caméra magistrale tourne autour d'un couple enlacé et en larmes peu à peu recouverts d'une pluie de cendres jusqu'à ce que la femme en feu disparaisse, se consume, laissant l'homme à jamais inconsolable. Une scène d'amour comme on n'en voit peu. INOUBLIABLE.
Cet homme, cet acteur, ce prodige c'est Leonardo di Caprio qui souffre, s'enfièvre et s'affaiblit comme personne et comme jamais dans ce film, dans cette interprétation exemplaire qu'il porte haut, si haut, qu'on souffre, s'enfièvre et s'affaiblit avec et pour lui, jusqu'à la réplique finale. Un acteur prodigieux, remarquable dans un film exceptionnel.