La guerre 39/45 a stoppé net la grande vague d'immigration d'Afrique du Nord vers la France. Les ouvriers algériens, marocains, tunisiens se retrouvent dans Paris, livrés à eux-mêmes et au chômage. En 1942 Younes un jeune algérien qui est arrivé trois ans plus tôt survit sans état d'âme grâce au marché noir. Son but : se faire un maximum d'argent pour regagner son pays. Mais il se fait arrêter et la police française lui propose de le laisser poursuivre ses activités à condition qu'il espionne le Recteur de la Mosquée de Paris soupçonné de délivrer de faux papiers aux juifs. Younes, terrifié, accepte. Il fait la connaissance du chanteur algérien Salim Halali. Peu à peu, de jeune homme sans conscience politique, Younes s'engage au risque de sa vie, au côté de ceux qui se battent pour devenir des hommes libres.
Encore un pan de l'histoire si dense de cette époque étrange révélée par le cinéma. Gloire au 7ème art donc ! Hélas, par excès ou manque de zèle, Ismaël Ferroukhi ne nous emporte pas dans le souffle éminemment épique de son histoire qui, sur le papier devait s'avérer fascinante. Hélas encore, il multiplie les pistes et les personnages et en abandonne certains. On ne croit pas un instant à l'attirance de Younes pour le personnage de Lubna Azabal. On la suit de très loin alors qu'un mystère l'entoure, et puis elle disparaît dans l'indifférence générale. Le personnage du chanteur qui devrait subjuguer parce qu'il se passionne essentiellement pour son art au détriment de sa sécurité souffre de l'interprétation sans âme de son (pourtant très bel) acteur. On imagine qu'en ne voulant pas sombrer dans une réalisation grandiloquente qui aurait convoqué les larmes et les violons le réalisateur s'est cantonné à exposer les faits. C'est très dommage car les événements de cette époque qui s'éloigne de plus en plus de nous, continuent néanmois de captiver et Ismaël Ferrouhki aurait pu nous bouleverser grandement avec ces personnages tellement ordinaires et pourtant tellement surprenants.
Il n'en demeure pas moins que j'espère, lors de mon très prochain passage à Paris, visiter cet endroit qui semble assez exceptionnel.
Par ailleurs, il est évident que ce film bénéficie de deux atouts majeurs. C'est Michael Lonsdale qui empoigne avec sa prestance et sa délicatesse le rôle du Recteur de la Grande Mosquée. Tout comme en religieux catholique dans "Des hommes et des Dieux", ce merveilleux et magnifique acteur impose sa prestance, son autorité et sa souriante bonhommie en religieux mahométan humain et charitable.
Et puis, il y a Tahar Rahim qui a tout compris au métier d'acteur et qui nous livre une nouvelle fois une composition saisissante. De gamin individualiste, insensible qui ne pense qu'à sauver sa peau, tout à coup pétrifié par la peur (il faut voir son regard s'embuer, son menton trembler sans que jamais les larmes coulent !), incapable d'entrer dans la peau du traître, il se transforme en être humain qui s'ouvre à la compassion puis s'engage en résistance pour parvenir au statut de héros. Ce garçon est INDISPENSABLE au cinéma. Tout chez lui est un instrument, son corps, son visage, sa voix. Il lui faut absolument des films à la hauteur de son prodigieux art.